Taïwan, île au passé complexe et à l’identité singulière, a porté de nombreux noms au fil des siècles. Chaque appellation reflète un moment clé de son histoire : ses racines austronésiennes, les occupations coloniales, les ambitions impériales, et les tensions géopolitiques qui persistent encore aujourd’hui. De Yi Zhou dans les chroniques chinoises anciennes à Formose dans les cartes européennes, en passant par Tayouan dans la bouche des autochtones, ces noms racontent la construction d’un territoire longtemps disputé. L’émergence du nom Taïwan, son institutionnalisation par les Qing, son maintien par le Japon puis la République de Chine, témoignent aussi d’une lente appropriation identitaire. À l’ère moderne, l’île est tiraillée entre désignation officielle (République de Chine), nom courant (Taïwan), et compromis diplomatique (Chinese Taipei). Derrière chaque mot se cache une lutte pour exister, se définir et se faire reconnaître.
Appellations indigènes austronésiennes
Taïwan était à l’origine habitée par des peuples austronésiens aux langues et cultures variées. Chaque groupe autochtone disposait de ses propres toponymes locaux pour désigner son territoire, et il n’existait pas nécessairement de nom unifié pour l’ensemble de l’île avant l’arrivée des étrangers. Néanmoins, le toponyme moderne Taïwan puise son origine dans la langue de l’une de ces tribus indigènes. Au XVIIème siècle, dans la région du sud-ouest de l’île (près de l’actuelle ville de Tainan), les Siraya utilisaient un terme transcrit par les Européens en Tayouan (ou Tayovan) pour désigner une localité côtière.
Selon certains chercheurs, ce mot siraya pourrait signifier « lieu de rencontre ». Les Néerlandais reprirent ce nom autochtone pour désigner le secteur de leur comptoir au sud-ouest de l’île. Par la suite, Tayouan fut adopté par les colons hoklo (Chinois du Fujian) sous la forme Tâi-oân dans la langue locale, et finit par évoluer en le mot Taïwan tel qu’on le connaît aujourd’hui. À l’origine réservé à la baie d’Anping et ses environs, ce nom s’étendit progressivement à l’île entière au fil du temps.
Premières désignations par les explorateurs étrangers
Dès l’Antiquité tardive et le Moyen Âge, des documents asiatiques font allusion à des îles mystérieuses à l’est de la Chine, que l’on peut associer à Taïwan. Ainsi, des chroniques chinoises anciennes utilisent les termes Yi Zhou (夷洲, « île des barbares ») ou Liuqiu (琉球) pour désigner des terres insulaires dont l’identification reste débattue. Ainsi, le Livre des Sui (636) mentionne un pays de Liuqiu, sans qu’il soit certain qu’il s’agisse de Taïwan ou plutôt de l’archipel des Ryūkyū voisins.
De même, le Daoyi Zhilüe (1349) de Wang Dayuan emploie « Liuqiu » pour décrire une île proche des îles Penghu, pouvant correspondre à Taïwan. Ces récits témoignent du flou qui entourait la géographie de la région dans les sources chinoises prémodernes. Par ailleurs, dans l’imaginaire chinois, certaines légendes associaient ces îles lointaines à l’île mythique de Penglai, un paradis des immortels souvent comparé à Avalon ou à l’Olympe
Les premiers Européens à consigner l’existence de Taïwan furent les navigateurs portugais au XVIème siècle. En 1542, une expédition portugaise aperçoit l’île depuis la mer. Émerveillés par ses reliefs verdoyants surgissant de l’océan, les marins se seraient exclamés « Ilha Formosa! », signifiant « Belle Île ». C’est de cette anecdote qu’est issu le nom de Formose, sous lequel l’île va être connue dans toute la cartographie européenne ultérieure. Les cartes et relations de voyage occidentales adopteront ce toponyme, qui restera durant des siècles la principale appellation de Taïwan en Occident.
Quelques décennies plus tard, d’autres puissances européennes s’intéressent à l’île. En 1626, une expédition espagnole venue des Philippines jette l’ancre au port de Keelung, à la pointe nord de Taïwan. Les Espagnols fondent une petite colonie qu’ils appellent San Salvador, du nom de la fête de la Toussaint. Eux aussi utilisent le terme Formosa pour désigner l’île dans son ensemble, reprenant ainsi le nom popularisé par les Portugais.
Presque simultanément, le Japon du shogunat Tokugawa tente également de s’implanter à Taïwan : une mission d’exploration japonaise en 1609 désigne l’île sous le nom de Takayamakoku (« pays de la haute montagne »). Cependant, une tentative d’établissement japonais en 1616 est repoussée par les populations indigènes, et le projet avorte. À ce stade, Taïwan, ou Formose, commence tout juste à apparaître sur le radar des puissances voisines, chacune la nommant selon sa propre langue et perception.
Les noms durant la colonisation néerlandaise et espagnole
La première présence coloniale durable sur l’île fut établie par les Néerlandais. En 1624, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales s’installe sur la côte sud-ouest de Formose, après avoir été chassée de l’archipel voisin des Penghu. Les Hollandais construisent le Fort Zeelandia sur un îlot sableux près de l’actuel district d’Anping (Tainan). Ils appellent initialement ce lieu Tayouan, d’après le nom que lui donnaient les indigènes Siraya des environs.
Ce comptoir hollandais, qu’on nommera plus tard Formose néerlandaise, sert de base pour la colonisation de l’île. Les Néerlandais encouragent l’immigration de travailleurs chinois hoklo depuis le Fujian continental, afin de défricher les terres et cultiver riz et sucre. C’est par l’intermédiaire de ces colons sinophones que le toponyme Tayouan passe dans l’usage local, se transformant peu à peu en Taiwan dans la langue chinoise de l’île.
En parallèle, les Espagnols occupent la partie nord de Formose de 1626 à 1642, période connue sous le nom de Formose espagnole. Ils établissent un fort à Keelung (qu’ils nomment San Salvador) ainsi qu’une base à Tamsui (Fort Santo Domingo). L’objectif espagnol est de contrôler le détroit et d’évangéliser la population, en concurrence directe avec les Hollandais déjà présents plus au sud. Durant ces années, l’île voit coexister deux colonies européennes rivales, chacune utilisant majoritairement le terme Formosa/Formose dans ses documents. Néanmoins, le nom indigène local Taiwan/Tayouan commence à apparaître dans les correspondances néerlandaises pour désigner la région du fort Zeelandia.
Cette ère coloniale prend fin dans les années 1640–1660. Les Espagnols sont d’abord expulsés de la moitié nord en 1642 par les troupes néerlandaises, qui unifient un temps l’île sous leur autorité. Mais peu après, en 1662, c’est au tour des Hollandais d’être chassés de Taïwan. L’officier chinois Zheng Chenggong, connu en Occident sous le nom de Koxinga, s’empare de Fort Zeelandia après un siège acharné.
Koxinga est un fidèle des Ming en exil qui transforme l’île en bastion anti-Qing. Il fonde le royaume de Tungning (1662–1683) dans le sud de Taïwan, faisant de Tainan sa capitale. Durant cette brève période de régime sino-ming, l’île est parfois appelée Dongning (東寧, « Pacification de l’Est ») par le nouvel état de Koxinga, tandis que les Occidentaux continuent de la désigner sous le nom de Formose.
Du régime Qing à la province de Taïwan
En 1683, la dynastie Qing (mandchoue) de Chine impériale met fin au royaume de Koxinga et intègre l’île dans son empire. Durant le premier siècle de domination Qing, Taïwan est administrée comme une préfecture rattachée à la province du Fujian, sans statut particulier. Les Qing la considèrent d’abord comme une possession périphérique lointaine, d’importance limitée. D’ailleurs, une expression courante de l’époque disait « Taïwan, le lieu où l’on enterre ses parents », soulignant la réputation de l’île comme un endroit sauvage et inhospitalier pour les colons chinois. Néanmoins, l’immigration Han s’intensifie tout au long du XVIIIème siècle, si bien qu’au début du XIXème siècle la population chinoise de l’île dépasse deux millions d’habitants, entraînant une sinisation croissante de Taïwan.
Confronté à des rébellions locales et à l’intérêt grandissant des puissances étrangères pour cette île stratégique, le pouvoir Qing finit par élever Taïwan à un statut administratif supérieur. En 1887, l’empereur décide de créer une province de Taïwan à part entière (distincte du Fujian) afin de mieux gérer ce territoire frontalier. Taïwan devient alors la vingt-troisième province de l’Empire Qing, avec Taipeh (Taipei) pour capitale et Liu Mingchuan comme premier gouverneur. Officiellement, c’est donc sous les Qing que le nom Taïwan (臺灣) acquiert sa pleine reconnaissance administrative, désignant l’île entière et non plus seulement la région de Tainan.
Le nom « Formose » et sa diffusion en Occident
Le toponyme Formose (ou Formosa en portugais/espagnol) a dominé la cartographie et les écrits occidentaux sur Taïwan du XVIème siècle jusqu’au milieu du XXème siècle. Après son apparition en 1542, ce nom exotique s’est imposé dans toutes les langues européennes, au point de « remplacer tous les autres dans la littérature » géographique de l’époque. Durant la période coloniale et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les atlas, récits de voyage, et documents officiels occidentaux utilisent quasi exclusivement Formose pour désigner l’île de Taïwan.
Même après 1945, le terme a perduré pendant la guerre froide. Dans les années 1950–1960, alors que Taïwan est le bastion du régime nationaliste de Tchang Kaï-chek face à la Chine communiste, de nombreux commentateurs occidentaux continuent de parler de Formose pour évoquer l’île et son gouvernement exilé. Par exemple, la Formosa Resolution adoptée par le Congrès américain en 1955 garantit la protection de « Formosa » par les États-Unis. Ce n’est qu’à partir des années 1970, avec l’ouverture de la Chine continentale et la montée en puissance de Pékin sur la scène diplomatique, que l’usage de Formosa décline au profit de Taiwan dans les médias internationaux.
Aujourd’hui, Formose subsiste surtout comme une appellation poétique ou historique. On la retrouve dans le nom de plusieurs espèces animales et végétales endémiques de l’île (par ex. le cerf sika de Formose ou l’ours noir de Formose), ainsi que dans certaines expressions culturelles ou commerciales. En chinois, Formose a été calqué par l’expression Meilidao (美麗島, « île magnifique »), un terme repris dans le titre d’un célèbre magazine dissident à la fin des années 1970, le magazine Formosa, symbole de la lutte pour la démocratisation de Taïwan.
Origine et signification du nom « Taïwan » en chinois
Le nom Taïwan tel qu’il s’écrit en chinois aujourd’hui (臺灣 en caractères traditionnels, 台湾 en simplifié) a été officiellement adopté en 1684 lorsque les Qing ont créé la préfecture de Taïwan. Ce toponyme était alors transcrit Tai-wan en mandarin. D’un point de vue étymologique, les caractères choisis signifient respectivement « terrasse/plate-forme » (臺) et « baie/golfe » (灣). On pourrait donc traduire littéralement Taïwan par « baie en terrasse » ou « grande baie ». Cette interprétation est parfois mise en avant a posteriori, mais il s’agit en réalité d’une étymologie populaire. Les historiens s’accordent en effet pour dire que le nom Taiwan n’est pas né d’une description géographique par les Chinois, mais bien de la translittération du nom austronésien Tayouan/Tayuan entendu par les Hollandais au XVII^e siècle.
Les caractères ont vraisemblablement été choisis pour approcher la prononciation du mot autochtone, tout en lui attribuant un sens compréhensible en chinois (d’où l’idée de « baie » pour un lieu côtier, assortie du caractère tai rappelant peut-être le dai de 大 signifiant « grand »). Quoi qu’il en soit, le nom Taïwan s’est imposé dans la langue chinoise écrite dès la fin du XVIIème siècle pour désigner l’île. Son usage officiel s’est poursuivi sous toutes les administrations ultérieures, et le mot est aujourd’hui universellement reconnu pour nommer l’île dans la plupart des langues.
Taïwan sous l’empire japonais (1895–1945)
En 1895, à l’issue de la première guerre sino-japonaise, la dynastie Qing cède Taïwan au Japon par le traité de Shimonoseki. Refusant la perspective de la domination japonaise, les élites locales tentent alors une dernière manœuvre en proclamant l’indépendance de l’île. En mai 1895 est fondé un éphémère État nommé la République de Formose (臺灣民主國), dénomination qui combine le nom international Formose et le terme chinois République. Ce régime ne durera que quelques mois : de mai à octobre 1895, son gouvernement résiste à l’armée japonaise, avant d’être vaincu et dissous à l’automne. Le Japon prend alors pleinement possession de Taïwan et en fait sa première colonie d’Asie de l’Est.
Pendant les cinq décennies de domination coloniale japonaise, l’île conserve officiellement le nom de Taiwan (臺灣, prononcé « Taiwan » en japonais également). Le gouvernement colonial, installé à Taihoku (Taipei), s’intitule Government-General of Taiwan (en japonais : Taiwan Sōtokufu). Les Japonais ne rebaptisent donc pas l’île, mais ils vont employer d’autres appellations dans des contextes spécifiques. Notamment, dès la fin du XVIème siècle, les Japonais utilisaient le nom Takasago (高砂) pour parler de Taïwan ou de ses habitants indigènes. Sous l’ère Meiji, ce terme Takasago reste vivace : les anthropologues et administrateurs nippons qualifient les populations austronésiennes locales de « tribus Takasago ».
Durant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs milliers de Taïwanais, en particulier d’origine autochtone, sont enrôlés dans l’armée impériale et connus sous le nom de Takasago volunteers (« volontaires Takasago »). Cette appellation, chargée d’exotisme, tombe en désuétude après 1945, mais on la retrouve parfois dans la littérature historique japonaise du début XXème siècle. Parallèlement, dans les langues occidentales, l’usage du mot Formose pour désigner l’île perdure pendant la colonisation japonaise, les publications anglophones continuant souvent à parler de Formosa jusque dans les années 1930-1940.
Après 1945 : République de Chine et nouvelles appellations
En 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Taïwan est rétrocédée de l’empire japonais à la République de Chine (gouvernement nationaliste de Tchang Kaï-chek). L’île est alors administrativement réintégrée à la Chine et reconstituée en province de Taïwan au sein de la République de Chine (RDC). Le nom officiel du pays reste « République de Chine », et Taïwan en constitue une partie aux yeux du gouvernement de Nankin. Toutefois, cette situation évolue radicalement avec la reprise de la guerre civile chinoise. En 1949, les forces communistes de Mao Zedong s’emparent de la Chine continentale, forçant le gouvernement nationaliste à se replier sur l’île de Taïwan. Dès lors, à partir de décembre 1949, Taipei devient la capitale provisoire de la République de Chine, qui n’exerce plus son autorité que sur Taïwan et quelques archipels environnants.
Durant les premières décennies de la guerre froide, le régime de Tchang Kaï-chek continue à se revendiquer comme le seul gouvernement légitime de toute la Chine, maintenant officiellement le nom de « République de Chine » pour l’État basé à Taïwan. Néanmoins, dans la pratique internationale, pour éviter toute confusion, on commence à distinguer l’entité insulaire par des appellations spécifiques. Jusqu’aux années 1970, de nombreux pays occidentaux parlent de la « Chine nationaliste » (par opposition à la « Chine communiste ») ou utilisent encore le nom historique de Formose pour désigner le régime de Taipei. Ainsi, avant 1971, la chaise occupée à l’ONU par le gouvernement de Taipei était libellée China (Republic of China), mais les médias évoquaient souvent « Formosa » pour désigner ce gouvernement en exil.
La donne change en 1971 lorsque l’Assemblée générale des Nations unies vote la fameuse résolution 2758 : celle-ci attribue le siège de la « Chine » à la République populaire de Chine (RPC) de Pékin, évincant la République de Chine de l’ONU. À partir de ce moment, la plupart des pays du monde cessent de reconnaître diplomatiquement la République de Chine (Taïwan) comme un État souverain. Le nom Taïwan s’impose alors progressivement dans le langage courant international pour parler de l’île, puisque la dénomination « République de Chine » devient politiquement sensible. Quelques nations continuent de reconnaître officiellement la RDC (Taïwan) et maintiennent des ambassades à Taipei, mais elles ne sont plus qu’une petite vingtaine au début du XXIème siècle (et seulement une douzaine en 2023). La majorité des pays adoptent une formule ambiguë : ils ne parlent plus que de Taïwan, sans statut étatique clair, ou recourent à des appellations techniques dans les documents officiels.
Désignations géopolitiques contemporaines et enjeux diplomatiques
Aujourd’hui, la question du nom de Taïwan est éminemment politique sur la scène internationale. Différentes désignations officielles ou officieuses coexistent, chacune chargée d’implications diplomatiques :
- République de Chine (RDC) : Il s’agit encore du nom constitutionnel du régime de Taïwan. Il figure sur les passeports taïwanais et dans certains documents officiels nationaux. Cependant, très peu de gouvernements étrangers utilisent cette appellation, car elle suggère une revendication sur l’ensemble de la Chine. La plupart des États, tout en entretenant des relations avec Taipei, évitent d’employer République de Chine pour ne pas offenser Pékin.
- Taïwan : C’est le nom courant de l’île et de l’entité politique de facto. De plus en plus de pays et d’organisations internationales utilisent simplement Taiwan dans les communications informelles ou pour nommer des bureaux de représentation (par exemple Taipei Economic and Cultural Office). Néanmoins, dans les enceintes officielles, l’usage de Taïwan reste contesté par la RPC, qui y voit une reconnaissance implicite de l’île comme État distinct.
- Chinese Taipei : En français Taipei chinois, c’est l’appellation de compromis utilisée dans de nombreux événements internationaux, notamment sportifs. Sous la pression de Pékin, Taïwan ne peut adhérer à des organisations comme le Comité international olympique ou l’Organisation mondiale de la santé sous le nom de « Taïwan » ni même de « République de Chine ». Un accord a donc été conclu pour la déléguer sous le nom neutre de Chinese Taipei. Ce terme, adopté depuis les années 1980, permet à la RPC de tolérer la participation de Taïwan sans reconnaître une souveraineté séparée. Du point de vue taïwanais, Chinese Taipei est un intitulé frustrant, il évite certes le mot « Chine » tout seul, mais inclut malgré tout chinese, suggérant un lien de subordination. De plus, Taïwan doit concourir sous un drapeau spécial et un hymne distinct, au lieu de ses symboles nationaux. Les 23 millions d’habitants de l’île se voient ainsi présentés sous l’identité d’une entité qui n’existe pas réellement en tant que nation indépendante.
- Taipei, China / Taïwan, Province de Chine : Dans les instances dominées par Pékin (certaines agences onusiennes, forums régionaux alignés sur la RPC), il est arrivé que Taïwan soit désigné sous des appellations la rattachant explicitement à la Chine. Par exemple, Taipei, China ou Taiwan, Province of China sont utilisés par la RPC et quelques organisations internationales pour renforcer l’idée que Taïwan fait partie intégrante de la Chine. De nombreuses sociétés internationales utilisent ce terme pour complaire aux exigences de Pékin ainsi que pour certains papiers administratifs dans de nombreux pays. Ces terminologies sont bien entendu rejetées par les autorités et la population de Taïwan, qui y voient une négation de leur réalité politique autonome.
Ces différents noms en usage reflètent le statu quo ambigu autour de Taïwan. D’un côté, la République populaire de Chine maintient une politique de « Une seule Chine », selon laquelle Taïwan est une province chinoise devant tôt ou tard être réunifiée. De l’autre, Taïwan fonctionne depuis plus de sept décennies comme un État de facto séparé, avec son propre gouvernement, son armée, sa monnaie et son système juridique. Ne pouvant faire reconnaître formellement son indépendance sans risquer un casus belli pour Pékin, Taïwan navigue dans un flou terminologique. Chaque appellation, République de Chine, Taïwan, Chinese Taipei, est le fruit d’âpres compromis diplomatiques.
Ainsi, à l’ONU et dans la plupart des organisations internationales, Taïwan est exclue en tant qu’État membre ; lorsqu’il lui est permis de participer, c’est sous le nom de Chinese Taipei (comme à l’APEC ou aux Jeux olympiques) ou à titre d’« entité distincte » sans référence étatique (par ex. Chinese Taipei à l’OMC, officiellement “Separate Customs Territory of Taiwan, Penghu, Kinmen and Matsu” à l’OMC). L’enjeu pour Taïwan est de se faire une place sur la scène mondiale sans déclencher l’ire diplomatique de la Chine populaire. Inversement, pour Pékin, il s’agit d’empêcher toute légitimation internationale de Taïwan en tant que pays indépendant. Ainsi, le choix des mots est crucial : utiliser tel ou tel nom pour désigner l’île, ce n’est pas anodin, c’est prendre position dans un équilibre géopolitique délicat.
Usages populaires et culturels actuels à Taïwan
Sur le plan domestique, les habitants de l’île utilisent quasi unanimement le nom de Taïwan (台灣, Táiwān en mandarin standard) pour désigner leur pays et leur île. Dans la vie quotidienne, on se dit Taïwanais bien plus volontiers que « citoyen de la République de Chine ». Les jeunes générations notamment affichent une identité taïwanaise affirmée, surtout depuis la démocratisation des années 1990. Le terme République de Chine n’apparaît guère que dans les contextes officiels (documents administratifs, discours gouvernementaux, manuels d’histoire), et encore, il est souvent remplacé par l’expression “Taiwan, R.O.C.” dans les documents bilingues, témoignage de la prédominance du nom Taiwan même au sein du gouvernement. Le souhait d’un changement de nom officiel du pays pour quelque chose comme République de Taïwan est d’ailleurs fréquemment évoqué dans le débat politique intérieur, porté par ceux qui prônent une identité taïwanaise décomplexée distincte de la Chine continentale. Toutefois, ce projet se heurte aux risques diplomatiques évoqués plus haut.
Dans la culture populaire taïwanaise, les différents noms historiques de l’île ont également laissé leur empreinte. Le passé de Formose suscite un certain romantisme : ce nom ancien est parfois employé dans des contextes artistiques, littéraires ou commerciaux pour évoquer la beauté de l’île ou son patrimoine. Par exemple, on trouve à Kaohsiung une station de métro nommée Formosa Boulevard (Meilidao) en mémoire du mouvement démocratique Formosa de 1979. Des agences de voyage, des marques de thé ou des groupes de musique intègrent Formosa dans leur nom pour souligner un lien avec l’héritage historique de l’île. De même, l’adjectif formosan demeure en usage en anglais pour qualifier la faune et la flore locales (par ex. Formosan blue magpie pour l’oiseau symbolique qu’est la pie bleue de Taïwan).
En revanche, l’appellation Chinese Taipei n’a quasiment aucun écho dans la population : elle n’est perçue que comme un artefact bureaucratique pour l’étranger. Les Taïwanais suivent les compétitions sportives en encourageant Team Taiwan (équipe de Taïwan), même si officiellement les athlètes défilent sous la bannière Chinese Taipei. Cette dissonance entre l’usage populaire et l’appellation imposée illustre bien la singularité de la situation taïwanaise : un pays fier de son identité propre, mais contraint d’évoluer sous des noms multiples au gré des sensibilités politiques. Ainsi, du Penglai mythique à la Formose coloniale, de la Taïwan moderne à la déconcertante étiquette Chinese Taipei, l’île aux multiples noms continue de porter les traces de son histoire mouvementée dans les appellations qu’on lui donne, tant chez elle que dans le monde.
🧠 Tableau récapitulatif :
Nom | Période d’usage | Origine / Utilisateur | Remarques principales |
---|---|---|---|
Yi Zhou (夷洲) | IIIᵉ – VIIᵉ siècles | Chroniques chinoises anciennes | « Île des barbares » ; première mention possible de Taïwan dans les archives chinoises |
Liuqiu (琉球) | XIIIᵉ – XIVᵉ siècles | Explorateurs et géographes chinois | Désignation floue pouvant désigner Taïwan ou les îles Ryūkyū |
Ilha Formosa | Dès 1542 – XXᵉ siècle | Navigateurs portugais | Signifie « Belle île » ; devient le nom courant en Europe |
San Salvador / Santo Domingo | 1626–1642 | Colonisation espagnole | Noms des forts à Keelung et Tamsui |
Tayouan / Tayovan | XVIIᵉ siècle | Siraya (autochtone) / Hollandais | À l’origine un lieu à Tainan ; devient « Taïwan » par sinisation |
Takasago (高砂) | XVIᵉ – XXᵉ siècle | Japon féodal et colonial | Terme utilisé pour désigner l’île ou ses peuples autochtones |
Formosa néerlandaise | 1624–1662 | Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC) | Territoire néerlandais autour de Fort Zeelandia |
République de Formose | 1895 | Élites chinoises locales | Tentative d’État indépendant face à l’annexion japonaise |
Taïwan (臺灣 / 台湾) | XVIIᵉ siècle – aujourd’hui | Colonisation Hoklo / Qing / Japon / République de Chine | Devient le nom courant et administratif de l’île |
Province de Taïwan | 1887 (Qing), 1945 (RDC) | Dynastie Qing / République de Chine | Statut administratif provincial officiel |
République de Chine | Depuis 1912 (à Taïwan depuis 1949) | Gouvernement nationaliste chinois | Nom officiel de l’État basé à Taïwan |
Chinese Taipei | Depuis 1980s | Organisations internationales (CIO, OMS…) | Nom de compromis imposé sous pression de Pékin |
Taiwan, Province of China | Depuis 1971 | RPC, ONU et alliés | Appellation politique rejetée par la majorité des Taïwanais |

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