Vincent Remy de LLR : « Innover sans se protéger est suicidaire »

De l'importance du dépôt de brevets pour les entreprises à Taïwan avec Vincent REMY, expert en propriété intellectuelle
Une équipe à votre service - Copyright : Vincent Rémy

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Dans le monde en constante évolution de la technologie et de l’innovation, le dépôt de brevets est devenu un pilier essentiel pour les entreprises cherchant à protéger et valoriser leurs inventions. Taïwan, reconnue comme un leader mondial dans les secteurs de la technologie et de l’électronique, offre un terrain propice à l’exploration de ce sujet crucial.

Aujourd’hui, nous avons l’honneur de converser avec Vincent REMY, un expert renommé dans le domaine de la propriété intellectuelle et Conseil en propriété industrielle. Avec une expérience considérable en matière de conseils, de dépôt et de gestion de brevets, Il nous offre une perspective unique sur l’importance de cette démarche pour les entreprises.

Bonjour Vincent, peux-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours et comment tu es devenu avocat spécialisé en dépôt de brevet ?

Le titre de ma profession est « Conseil en propriété industrielle ». On dit souvent « CPI ». Il est vrai que le titre d’avocat est plus connu, surtout à l’étranger. Mais comme la loi française n’autorise pas d’être à la fois CPI et avocat, j’ai choisi de conserver l’étiquette CPI, qui reflète mieux ma spécificité : un ingénieur qui a étudié le droit.

Après des études d’ingénieur généraliste, je suis devenu développeur en informatique. Puis, j’ai découvert la profession de CPI grâce à une très intéressante conférence et m’y suis intéressé.

Qu’est-ce qui t’a attiré vers cette spécialisation particulière dans le droit des affaires ?

Je n’ai plus quitté ce métier depuis 30 ans parce que je n’ai jamais eu le sentiment d’en avoir fait le tour. La combinaison de la technique et du juridique est passionnante. On découvre en permanence de nouveaux domaines industriels et, dans un champ donné, essentiellement des innovations. Le droit évolue aussi sans arrêt, ce qui ajoute de la difficulté. Enfin, le caractère international des dossiers rend le métier très ouvert sur le monde.

j’ai choisi de conserver l’étiquette CPI, qui reflète mieux ma spécificité : un ingénieur qui a étudié le droit.

vincent

Comment décrirais tu ton expérience de travail avec les entrepreneurs qui cherchent à protéger leurs innovations ?

L’expérience est avant tout humaine. Mon travail commence souvent par l’obligation de tordre le cou aux idées reçues. Le brevet n’est ni un prix Nobel, ni un billet de loterie. L’absence d’enseignement scolaire et les saupoudrages universitaires laissent beaucoup de place à l’imaginaire, de même qu’à des informations erronées sur la propriété industrielle. Heureusement, lorsque les chefs d’entreprise prennent le temps de s’y intéresser, ils comprennent rapidement les nombreux avantages à tirer d’une stratégie proactive en propriété industrielle. Mon travail est donc plutôt éducatif au début de la relation.

Ensuite, il est nécessaire que la confiance s’établisse avec le chef d’entreprise afin qu’il partage sa propre vision de l’avenir de son entreprise. Alors, expertise et expérience me permettent de proposer des tactiques de protection adaptées aux circonstances. En général, plusieurs moyens de protection se combinent : création esthétique par dessins et modèles (« design patent »), création technique par brevets (« utility patent »), signe de commerce par réservation de marques ou de noms de domaine, savoir-faire par le secret des affaires.

Une fois les droits établis, l’entreprise bénéficie d’un effet promotionnel vis-à-vis de la clientèle et dissuasif vis-à-vis de la concurrence. Souvent, les droits sont exploités avec des partenaires via des contrats et sont défendus contre des adversaires par des actions qui se résolvent par voie judiciaire ou administrative, par médiation ou arbitrage, ou encore à l’amiable, ce qui est de loin ma solution préférée.

Pourrais tu expliquer brièvement à nos lecteurs ce qu’est un dépôt de brevet ?

Le ou les inventeurs, car il s’agit en général d’une équipe de professionnels avertis dans leur domaine, sont confrontés à un problème technique. Ils le résolvent au prix d’efforts significatifs. L’entreprise qui les emploie souhaite éviter que la concurrence, qui n’a pas fourni les mêmes efforts, ne bénéficie de ce résultat. L’entreprise prend alors contact avec nous dans le but que l’exploitation de la solution lui soit réservée au moins temporairement. Elle compte ainsi amortir ses dépenses de recherche et s’assurer un retour sur investissement.

Lors de nos échanges avec les inventeurs, nous veillons à bien comprendre l’invention. Mais pas uniquement : nous œuvrons aussi pour mettre en avant tout ce qui prouve que la solution sort des sentiers battus. Tout ce qui manifeste une certaine inventivité est utile pour que l’invention soit éligible à la protection par brevet. Sur ce point, il est essentiel de disposer d’une bonne expérience des procédures devant les principaux offices de brevet et devant les tribunaux.

Quelles sont les spécificités du processus de dépôt de brevet à Taïwan par rapport à d’autres pays ?

Taïwan dispose d’un régime de protection harmonisé avec celui de la plupart des pays industrialisés. Cependant, une spécificité subsiste en matière de brevets : l’absence d’adhésion au système PCT, qui est un mécanisme international de réservation de dépôts. Cette carence oblige un industriel étranger qui souhaite obtenir un brevet à Taïwan à déposer sa demande de brevet taïwanais dix-huit mois plus tôt que dans les pays couverts par le PCT.

Quels sont, selon toi, les plus grands défis auxquels sont confrontés les entrepreneurs lorsqu’ils déposent un brevet à Taïwan ?

L‘administration qui reçoit les demandes de brevets (TIPO) n’a pas la réputation d’être excessivement exigeante. Les exceptions à la brevetabilité sont les mêmes que devant les autres grandes administrations de ce type. Sauf circonstance exceptionnelle, les choses devraient bien se passer. Par ailleurs, je n’ai rencontré nulle part de cas de protectionnisme national de la part des offices de brevets.

Bureau de LLRIP – Copyright : Vincent Remy

Quel serait ton conseil pour un entrepreneur qui envisage de déposer un brevet pour la première fois ?

Se faire conseiller pour bien établir sa stratégie. À moins d’être lui-même éduqué sur le sujet, l’entrepreneur risque d’engager des dépenses assez élevées sans savoir réellement où il va, puis de le regretter à l’arrivée. Le Conseil en propriété industrielle l’aidera à s’orienter et à faire les bons choix. Un bon Conseil en propriété industrielle n’hésitera pas à le dissuader de déposer un brevet si les bénéfices attendus ne sont pas clairs.

Existe il des erreurs communes que tu observes chez les entrepreneurs lorsqu’ils tentent de déposer un brevet ?

Ma matière juridique est pleine de pièges, mais je ne développerai pas ici un cours de droit des brevets. Il existe trois croyances courantes que je peux tenter d’expliquer, en espérant ne pas noyer nos lecteurs.

Beaucoup de candidats au dépôt de brevet croient que s’ils ont eux-mêmes divulgué leur invention avant le dépôt de la demande de brevet, ils peuvent encore tenter de la breveter. C’est une erreur fatale, car une fois l’invention divulguée, elle n’est plus brevetable. Cette règle très stricte s’applique même si l’auteur de la divulgation est l’inventeur lui-même. Mon conseil est donc de ne jamais divulguer une invention qu’on a l’intention de protéger par brevet. Il faut bien comprendre que cette recommandation ne traduit pas un manque de confiance envers la personne qui reçoit la divulgation : il s’agit d’une divulgation quel qu’en soit le bénéficiaire. Si un adversaire peut démontrer qu’elle a eu lieu, même à quelqu’un d’autre que lui, il pourra faire annuler le brevet.

Skyline – Copyright : Vincent Rémy

Une autre croyance est que tous les contrefacteurs de brevets sont des personnes mal intentionnées qui ont copié sciemment une technologie. C’est presque toujours inexact. La grande majorité des contrefacteurs de brevets sont de bonne foi. Ils ont simplement suivi une évolution technologique qui les a conduits à imaginer une solution technique que d’autres avaient inventée avant eux et avaient brevetée. Ce constat est souvent amer pour un entrepreneur qui a déposé un brevet : posséder un brevet lui donne certes la possibilité d’interdire aux tiers d’exploiter son invention, mais ne lui garantit pas la liberté de l’exploiter. Pour plusieurs raisons légales, trop complexes à résumer ici, une même technologie peut en effet être brevetée par plusieurs titulaires. Tout titulaire pourra interdire une exploitation postérieure à son dépôt.

Le fait que l’exploitant ait aussi déposé un brevet ne change rien sur le plan judiciaire. En revanche, cela lui donne une capacité à négocier. C’est une application de l’adage « Si tu veux la paix, prépare la guerre » et c’est une des raisons pour lesquelles les grands groupes déposent beaucoup de brevets.

Enfin, on rencontre souvent un travers chez les inventeurs : ce qu’ils ont inventé serait trop banal pour mériter un brevet. Ces inventeurs laissent la place à d’autres, pilotés par des entrepreneurs mieux informés. Mon conseil ici est de toujours privilégier l’intérêt stratégique de l’entreprise et de ne pas se limiter à la vision technique de l’ingénieur de R&D.

La grande majorité des contrefacteurs de brevets sont de bonne foi.

Vincent

Comment vois-tu l’impact de la protection par brevet sur la croissance et le succès d’une entreprise ?

Si je laisse de côté les start-ups technologiques, dont je parlerai ensuite, je dirais qu’il existe très peu de réussites industrielles sans brevet à l’origine. Et il n’existe aucune entreprise industrielle ayant atteint un certain niveau de succès qui ne dépose pas régulièrement des brevets. Le brevet est un instrument de lutte contre la concurrence. Aucune entreprise n’a intérêt à se priver d’un tel atout concurrentiel. Même Tesla, qui met en avant son image d’entreprise ouverte en partageant ses brevets, continue d’en déposer toujours davantage année après année. Chacun jugera si l’objectif est purement philanthropique ou s’il s’agit d’optimiser les bénéfices tirés des dépôts de brevets par des moyens certes inhabituels, mais bien réels.

Quant aux start-ups technologiques, il n’y a pas d’exception : le portefeuille de brevets est une condition pour lever des fonds. Quel investisseur déciderait d’investir dans une technologie qui fera l’objet d’une concurrence illimitée dès sa sortie ?

Quelle est la chose la plus gratifiante dans ton travail avec les entrepreneurs ?

L’idéal serait que leurs brevets contribuent de manière éclatante à leur réussite. C’est le cas lorsqu’un marché est remporté ou qu’un différent se conclut favorablement par une décision de justice. Mais il faut garder les pieds sur terre : les brevets rapportent davantage par leur existence passive que par leur utilisation active lors de bras de fer avec des adversaires. Même en ayant conclu quelques accords ponctuels de plusieurs millions d’euros, mes clients vous confirmeront que le bénéfice essentiel tiré de leur politique de brevets réside dans l’existence même d’un portefeuille bien construit, qui incite la concurrence au respect de leurs droits. La propriété industrielle est utile, souvent indispensable, mais rarement spectaculaire. Donc pour répondre à ta question, la chose la plus gratifiante est la fidélité des clients, qui prouve que nos services leur sont utiles sur le long terme.

les brevets rapportent davantage par leur existence passive que par leur utilisation active

Vincent

Comment gères tu les cas où un brevet est contesté ?

Cette situation est courante. Elle fait partie du jeu. Lorsqu’elle survient, on conteste les arguments adverses. Il arrive que l’adversaire découvre une antériorité plus gênante que celles connues de l’inventeur et de l’office des brevets. On reprend alors la présentation de l’invention pour mieux la défendre. Bien sûr, on tente toujours une négociation. L’adversaire peut préférer obtenir une licence pour maintenir le brevet en place et limiter ainsi la concurrence, ce qui est, pour lui aussi, plus avantageux que de détruire la protection.

Quels sont les facteurs importants que les entrepreneurs devraient prendre en compte avant de décider de déposer un brevet à Taïwan ?

Tout d’abord, se souvenir qu’un brevet n’a d’effet que dans le territoire où il est déposé. Sans brevet à Taïwan, il n’existe aucune protection à Taïwan. Ensuite, analyser où réside la marge, déterminer en quoi l’invention y contribue, puis identifier les concurrents et leurs produits sur le marché.

Pourrais tu nous parler d’un cas particulier qui t’a marqué au cours de ta carrière ?

La conservation de l’activité d’une usine d’un demi-millier de salariés, par reconduction d’un marché. Nous avons démontré que réallouer le marché à la concurrence aurait entraîné des actes de contrefaçon que nous aurions pu soumettre aux tribunaux.

Comment vois-tu l’évolution du paysage des brevets à Taïwan dans les années à venir ?

Dans tous les pays développés, les marchés tendent à se saturer. La concurrence est de plus en plus féroce. La différentiation entre concurrents s’opère de plusieurs manières : par le renouvellement, par le prix et par l’innovation. Si on compte rester en tête grâce à un renouvellement rapide et permanent de ses produits ou par des prix extrêmement faibles, les brevets ne servent pas à grand chose. En revanche, si on compte sur l’innovation, il faut de la R&D et alors les brevets deviennent indispensables. Innover sans se protéger est suicidaire. C’est littéralement offrir ses propres travaux de recherche à la concurrence.

Et pour finir quels sont les 3 lieux, mis à part ton bureau où on a le plus de chance de te croiser ?

A l’opéra, en promenade, devant une miche de pain au levain !

Un peu de neige – Copyright : Vincent Remy

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À propos de l'auteur

  • Luc

    Fondateur du webzine francophone Insidetaiwan.net Consultant en développement international 🚀des entreprises en Asie du Sud-Est #Taiwan #Tourisme #Société #Culture #Business #Histoire #Foodie

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