Aujourd’hui insidetaiwan.net vous emmène au cœur de l’histoire du cinéma taïwanais, une industrie cinématographique riche en diversité et en transformations. Des premiers balbutiements dans les années d’après-guerre jusqu’à l’essor international contemporain, le cinéma taïwanais a traversé des décennies d’évolutions, marquées par des chefs-d’œuvre, des révolutions stylistiques et des périodes de doutes.
Les premiers pas du cinéma à Taiwan, 1900-1945
Le cinéma à Taiwan a vu le jour en 1901 grâce à Toyojirō Takamatsu (高松豊次郎). Entre 1900 et 1937, sous l’ère de la domination japonaise, Taiwan est devenu l’un des marchés cinématographiques coloniaux les plus influents du Japon. En 1905, Takamatsu a levé 10 000 yens japonais pour l’armée japonaise grâce aux recettes des films sur la guerre russo-japonaise, montrant l’impact du cinéma sur la société.
Dès 1910, le gouvernement colonial japonais à Taiwan a encouragé une production cinématographique plus structurée, collaborant avec des cinéastes indépendants comme Takamatsu. Les films de cette époque servaient souvent de véhicule pour l’impérialisation et l’assimilation culturelle des Taïwanais au sein de l’empire japonais. Le documentaire de propagande « An Introduction to the Actual Condition of Taiwan » (1907) de Takamatsu en est un exemple frappant.
Ces premiers films, principalement destinés au public japonais, avaient souvent un caractère éducatif et glorifiaient l’influence modernisatrice du Japon à Taiwan. Des œuvres telles que « Conquering Native Rebels » (1910) et « Heroes of the Taiwan Extermination Squad » (1910) répondent à une fascination exotique pour Taiwan.
Les cinéastes taïwanais adoptèrent rapidement les conventions du cinéma japonais, notamment l’utilisation d’un benshi (narrateur de films muets), renommé piān-sū à Taiwan. Ces narrateurs, à la différence de leurs homologues occidentaux, donnaient souvent leur propre interprétation des films, transformant parfois une romance en comédie ou en drame selon leur style. Des maîtres benshi comme Wang Yung-feng, Lu Su-Shang et Zhan Tian-Ma ont marqué cette époque par leur talent et leur contribution intellectuelle.
Taiwan n’est jamais devenu un centre majeur de production pour le Japon, mais un marché d’exposition essentiel. De nombreux films japonais, qu’ils soient d’actualité, éducatifs ou de fiction, ont été diffusés à Taiwan jusqu’en 1945 et même après la décolonisation. Avec le début de la seconde guerre sino-japonaise en 1937, les films américains et chinois ont été écartés du marché taïwanais, alignant davantage l’industrie cinématographique avec les efforts de guerre japonais.
Des films comme « La police japonaise supervise un village taïwanais » (1935) illustrent la tentative de japonisation des Taïwanais. Cette période a profondément influencé le cinéma taïwanais contemporain, comme en témoignent des films tels que « City of Sadness » (1989) et « The Puppetmaster » (1993) de Hou Hsiao-hsien, ou encore « A Borrowed Life » (1994) de Wu Nien-jen, qui revisite cet héritage d’annexion culturelle.
Le cinéma taïwanais post-1949
L’année 1949 marque un tournant décisif pour le cinéma taïwanais. Avec l’issue de la guerre civile chinoise, l’île accueille une vague de cinéastes affiliés aux nationalistes, insufflant une nouvelle dynamique à l’industrie cinématographique locale. Malgré cette évolution, la production cinématographique à cette époque est dominée par des films en hokkien taïwanais, une tendance qui se maintient pendant plusieurs années. Ainsi, en 1962, sur les 120 films produits, seuls sept sont en mandarin, le reste étant réalisé en taïwanais. Cependant, cette ère du cinéma en taïwanais connaît un déclin progressif pour diverses raisons, telles que la portée limitée du dialecte, une baisse de l’intérêt du public, et la politique du gouvernement nationaliste visant à promouvoir le mandarin standard dans les médias, tout en dénigrant le taïwanais jugé trop « vulgaire ». Le dernier film intégralement tourné en taïwanais voit le jour en 1981.
Durant les années 1960, Taïwan assiste à une modernisation accélérée, le gouvernement s’attachant à des domaines clés tels que l’économie, le développement industriel et l’éducation. C’est dans ce contexte que la Central Motion Picture Corporation lance, en 1963, le genre « Health Realism ». Cette innovation cinématographique vise à inculquer des valeurs morales traditionnelles, perçues comme essentielles dans le cadre de la mutation rapide de la structure socio-économique nationale. Parallèlement, les films traditionnels de kung-fu et les mélodrames romantiques jouissent d’une grande popularité. Chiung Yao, auteur renommé, devient célèbre à cette époque grâce à l’adaptation cinématographique de ses romans romantiques très prisés.
À cette époque, le cinéma taïwanais est étroitement associé aux mécanismes de censure et de propagande mis en place par la République de Chine. Cette influence gouvernementale marque profondément l’industrie cinématographique taïwanaise, orientant la production et la distribution des films, et façonnant ainsi l’évolution de la culture cinématographique locale.
L’essor du Nouveau Cinéma Taïwanais (1982-1990) : une ère de révolution artistique
Au seuil des années 1980, le phénomène de la vidéo domestique fait irruption dans le quotidien des Taïwanais, transformant le visionnage de films en une pratique courante. Cependant, cette période représente un défi majeur pour l’industrie cinématographique taïwanaise, confrontée notamment à la montée en puissance du cinéma de Hong Kong sur son marché. Pour faire face à cette concurrence, la Central Motion Picture Corporation (CMPC) met en place une initiative de soutien à de jeunes réalisateurs talentueux. En 1982, le film « In Our Time » constitue une étape fondamentale dans ce processus. Avec la participation de quatre jeunes cinéastes prometteurs, Edward Yang, Te-Chen Tao, I-Chen Ko et Yi Chang, ce film marque le commencement d’une ère nouvelle, surnommée le « Nouveau cinéma taïwanais ».
Se détournant des mélodrames et des films d’action de kung-fu qui dominaient les décennies précédentes, les productions du Nouveau cinéma taïwanais se distinguent par leur approche réaliste, authentique et proche du quotidien des Taïwanais. Ces œuvres s’attachent à narrer des histoires véridiques, que ce soit dans les villes ou les campagnes de Taïwan, évoquant par leur style le mouvement néoréaliste italien. L’innovation ne se limite pas au contenu, mais s’étend également à la forme, avec des techniques narratives audacieuses. À titre d’exemple, la structure dramatique traditionnelle, avec un point culminant, cède la place à une progression plus organique, plus proche du rythme de la vie réelle.
Ce cinéma se fait le reflet des problématiques majeures de la société taïwanaise contemporaine, telles que l’urbanisation, la lutte contre la pauvreté ou encore les rapports tendus avec le pouvoir politique. « A City of Sadness » de Hou Hsiao-hsien illustre par exemple les frictions entre les Taïwanais de souche et le gouvernement nationaliste chinois arrivé après la fin de l’occupation japonaise. « Growing Up » (1983) de Chen Kunhou offre une peinture nuancée de la jeunesse taïwanaise à travers le parcours d’un jeune garçon issu d’un milieu ordinaire. « Taipei Story » (1985) et « A Confucian Confusion » (1994) d’Edward Yang explorent les dilemmes des jeunes citadins des années 80 et 90, tiraillés entre valeurs traditionnelles et matérialisme moderne.
Son œuvre magistrale, « A Brighter Summer Day » (1991), souvent considérée comme le sommet du Nouveau cinéma taïwanais, traite de la quête d’identité de Taïwan dans les années 60, sur fond de bouleversements politiques et d’immigration massive en provenance de Chine.
La deuxième Nouvelle Vague et son Impact
À l’aube des années 1990, le cinéma taïwanais entame une nouvelle phase, communément appelée la deuxième nouvelle vague. Cette période, bien que conservant une certaine profondeur artistique, se caractérise par une approche moins austère et plus grand public, tout en continuant à explorer des thèmes profondément ancrés dans le contexte taïwanais.
Un exemple en est le film « Vive L’Amour » de Tsai Ming-liang, lauréat du Lion d’or à la Mostra de Venise en 1994. Ce film dépeint avec finesse l’isolement, le désespoir et les aspirations amoureuses des jeunes adultes dans le Taipei moderne. « The Peach Blossom Land » (1992) de Stan Lai, mêlant tragédie et comédie, illustre la cohabitation de deux troupes d’acteurs répétant sur une même scène. Sa richesse en termes de symbolisme politique et psychologique a été saluée lors des festivals de Tokyo et de Berlin.
Ang Lee, figure emblématique de cette période, se distingue par ses premières œuvres telles que « Pushing Hands » (1991), « The Wedding Banquet » (1993) et « Eat Drink Man Woman » (1994), explorant les conflits générationnels et culturels au sein des familles contemporaines. Avec « Tigre et dragon » (2000), il redynamise le genre wuxia, apportant au cinéma asiatique une reconnaissance internationale, bien que ce film ne s’inscrive pas strictement dans la lignée de la Nouvelle ou de la Deuxième Nouvelle Vague.
Les années 2000 sont également marquées par des films comme « Eternal Summer » (2006), « Prince of Tears » (2009) et « Winds of September » (2009), qui osent aborder des sujets sensibles, brisant plusieurs tabous dans le cinéma taïwanais.
La fin des années 1990 et le début des années 2000 représentent cependant une période de difficultés pour le cinéma taïwanais, mis à mal par la concurrence des blockbusters hollywoodiens et la préférence des spectateurs locaux pour les productions de Hong Kong ou d’Hollywood. Cette époque est également marquée par un déclin significatif de l’industrie, aggravé par la popularité croissante du piratage.
Cependant, un tournant majeur survient avec « Cape No. 7 » (2008) de Wei Te-sheng, qui relance l’intérêt pour le cinéma local. Ce film devient rapidement un succès phénoménal à Taïwan, se hissant au premier rang des recettes dans le pays et battant des records. Avec des recettes de 530 millions de TWD (environ 15,3 millions de d’euros), il s’impose non seulement comme un succès commercial mais aussi critique, remportant le titre de Meilleur film taïwanais lors des 45e Golden Horse Awards en 2008.
Le renouveau du cinéma taïwanais
Le cinéma taïwanais a amorcé une phase de renaissance suite au succès phénoménal de « Cape No. 7 ». Cette période, débutant aux alentours de 2010, marque une ère de renouveau caractérisée par une série de films notables qui ont revigoré l’industrie. Parmi ces œuvres, on retrouve « Monga » (2010), « Seven Days in Heaven » (2010), « Night Market Hero » (2011) et « Love » (2012). Ces productions ont contribué à redéfinir le paysage cinématographique taïwanais, apportant un souffle nouveau à une industrie qui avait longtemps lutté contre la morosité.
Cette résurgence a été symboliquement affirmée par le directeur du Bureau d’information du gouvernement, déclarant que 2011 marquait un nouveau départ pour le cinéma taïwanais. Un témoignage de cette dynamique est la sortie en septembre 2011 de « Seediq Bale » de Wei Te-sheng, comprenant deux parties – « The Sun Flag » et « The Rainbow Bridge ». Ce diptyque a non seulement dominé le box-office local, mais a également acquis une renommée internationale, en participant au 68e Festival international du film de Venise et en étant sélectionné pour les Oscars.
Le cinéma taïwanais ne s’est pas arrêté là. « The Killer Who Never Kills » (2011), tiré d’une nouvelle de Giddens Ko, ou encore la série télévisée « Black & White », déclinée en deux films, ont continué à élargir l’horizon du cinéma taïwanais. La romance « You Are the Apple of My Eye » (2012), également de Giddens Ko, a connu un succès retentissant, tout comme « Din Tao: Leader of the Parade » (2012) de Fung Kai et « David Loman » (2013) de Chiu Li-kwan, confirmant la capacité du cinéma taïwanais à engendrer des blockbusters locaux.
En 2015, la réalisatrice Yu Shan Chen a présenté « Our Times », un film qui s’est hissé au rang des plus rentables de l’année à Taïwan. Il mettait en vedette Vivian Sung, connue pour son rôle dans « Café. Waiting. Love » (2014). De même, « Kano » (2014) d’Umin Boya, un film sur le baseball, a continué cette tendance de succès commercial.
Au-delà de ces succès, il est à noter que les cinéastes taïwanais ont dû naviguer dans un contexte délicat en raison des exigences de la censure imposées par le marché chinois. Cette situation a conduit à des ajustements subtils dans les films à succès tels que « The Assassin » (2015) de Hou Hsiao-hsien ou « The Wonderful Wedding » (2015), où les références à la spécificité taïwanaise ont été atténuées. Cependant, des films indépendants et à petit budget, tels que « Detention » de John Hsu, ont réussi à captiver le public local en restant fidèles à l’essence de l’identité taïwanaise, récompensés par plusieurs prix lors des Golden Horse Awards.
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