Aurélien, artiste plasticien français en résidence à Taïwan, nous ouvre les portes de son univers créatif, entre tradition et innovation. De ses débuts en Europe à son exploration des pratiques textiles et biotechnologiques taïwanaises, il partage sa vision de l’art comme vecteur de culture et d’identité. À travers ses projets, Aurélien allie technologie, héritage familial et engagement écologique pour construire un langage artistique singulier, riche de symboles et de sens.
Bonjour Aurélien, peux-tu te présenter pour nos lecteurs ?
Bonjour Luc, je suis un artiste plasticien français principalement basé à Amsterdam. J’ai étudié le design d’espace, la scénographie de danse, de théâtre et d’exposition à l’Ensba de Lyon, où j’ai obtenu un DNAP et un DNSEP. J’ai également effectué un échange à l’École de Design de la East China Normal University à Shanghai. Ensuite, j’ai intégré le Dirty Art Department du Sandberg Instituut à Amsterdam pour un second master en arts visuels et design.
Pendant mes études et au début de ma carrière, j’ai travaillé comme coordinateur et producteur au Sandberg, où j’ai organisé et géré pendant quatre ans le curriculum du Dirty Art Department. J’ai notamment produit les expositions des diplômés : à l’Hôtel Baegion d’Athènes en 2018 et au Westpoort Bijlmer d’Amsterdam en 2019, ainsi que des publications et des expositions d’alumni lors des accréditations de l’institut la même année. J’ai aussi assisté plusieurs curateurs pour des projets tels que l’exposition De Appel Timeline: 40+ Years of Risks au De Appel Art Center et le développement du programme d’exposition d’artistes contemporains d’ISO Amsterdam.
Grâce à mes compétences techniques, j’ai eu l’occasion de travailler sur des tournages publicitaires pour Philips et sur des courts-métrages. J’ai été chef déco et costumier pour Amor de Bernardo Zanotta, ainsi que premier assistant réalisateur pour Amulet de Molly Palmer. J’assiste également des artistes plasticiens dans la réalisation de sculptures.
Aujourd’hui, je vis de mon art et de mes compétences techniques, jonglant entre différents projets pour maintenir une stabilité financière. Actuellement en résidence au Musée National des Beaux-Arts de Taïwan avec la Villa Formose, organisée par le Bureau Français de Taipei et l’Institut Français, je m’intéresse aux intersections entre biotechnologies, pratiques textiles traditionnelles et leur présentation dans des contextes d’art contemporain.
Ton art mélange plusieurs disciplines. Comment le définirais-tu ?
Mon travail artistique puise dans des événements autobiographiques que je tisse avec des concepts philosophiques et théoriques. La philosophie des techniques, les mathématiques, et la physique quantique influencée par les théories queer, cyber- et xéno-féministes nourrissent ma réflexion. Les techniques de broderie et de tissage m’offrent une connexion familiale et sont aussi un moyen de préserver des pratiques lentes et artisanales dans un monde dominé par l’automatisation et la productivité.
Je suis particulièrement intéressé par la répétition des gestes et leurs empreintes musculaires, émotionnelles, et cognitives. Ces éléments prennent forme à travers des objets, sculptures, installations, et espaces. De 2017 à 2020, j’ai exploré les comportements hétéronormatifs dans l’expression des masculinités, observant les analogies entre les salles de sport et les espaces queers. Le comportement de ‘Straight Acting’ qui est une technique de dissimulation, de camouflage et de survie me questionnait. Mes sculptures et installations colorées, accompagnées de sons et d’odeurs, évoquaient une présence corporelle sans montrer le corps lui-même.
Après la pandémie de COVID-19, mon lien avec le toucher est devenu essentiel, et le textile a pris une place centrale dans ma pratique comme un moyen de reconnexion familiale et culturelle. J’ai découvert dans ma généalogie deux générations de tisserands dont la pratique a cessé avec la mécanisation de l’industrie textile. J’ai appris la broderie auprès de ma grand-mère et possède encore des laines héritées de mon arrière-grand-mère. J’ai également suivi une formation de tissage dans l’atelier de Sytze Roos à Amsterdam, poursuivant mon exploration technique et théorique à travers des résidences artistiques.
Le numérique intervient dans mon travail pour réfléchir aux modes de production. J’utilise des CAO pour préparer mes tissages et explore la création d’images digitales pour des réalisations analogiques.
Qu’est-ce qui te passionne dans l’art au point d’en faire ton métier ?
La passion.
C’est avant tout un amour pour la recherche et l’exploration, qu’elle soit physique, émotionnelle ou cognitive. Être artiste est un marathon, non un sprint.
Peux-tu nous parler de ta résidence d’art à Taïwan ?
Il s’agit d’une résidence de recherche artistique organisée par la Villa Formose et l’Institut Français, en partenariat avec le Musée National des Beaux-Arts de Taïwan et l’Université Nationale Chung Hsing de Taichung.
Ma résidence explore les liens entre pratiques textiles, archivage numérique, et biotechnologies. Intitulé Software, le projet s’intéresse aux semi-conducteurs et aux savoir-faire textiles taïwanais. Mon objectif est de créer des images sensibles, transformant des données numériques personnelles en motifs tissés et brodés, en hommage aux premières femmes développeuses et aux connexions entre les cartes perforées de métiers à tisser et le langage informatique.
Au Musée National des Beaux-Arts de Taïwan, je puise dans leurs archives pour constituer une bibliothèque d’images, de formes et de matériaux inspirés par des artistes et techniques taïwanaises. La résidence est un moment clé pour nourrir ma recherche, que je partagerai lors d’une présentation publique le 17 novembre 2024 au musée, accompagnée de séminaires sur les colorations végétales.
Quelles différences perçois-tu entre l’art occidental et l’art asiatique ?
Ce qui m’intéresse, en tant qu’artiste principalement actif en Europe, est le lien fort que les artistes et artisans taïwanais entretiennent avec leurs matériaux. Je trouve leurs œuvres d’une grande poésie, sobres et sans superflu, ce qui m’amène à repenser mon propre travail.
Comment intègres-tu ces spécificités dans ta création ?
Je profite des résidences pour sortir de ma zone de confort et découvrir les cultures à travers leurs techniques traditionnelles. Je m’imprègne d’abord d’une recherche théorique, physique, et émotionnelle, puis laisse place à une période de réflexion, où les connexions et associations émergent. Je marche et nage beaucoup, ce qui, pour moi, est une forme de gestation.
Mon travail artistique suit différents rythmes : la broderie, utilisée comme journal intime et régulateur émotionnel, et les tissages, où je transforme mes données biométriques en motifs et structures.
Que t’apporte ta présence à Taïwan en tant qu’artiste ?
Un réalignement avec la nature et les plantes. J’ai eu la chance d’apprendre à teindre avec de l’indigo, et ma professeure m’a dit simplement : “You work with a living,” avant que je plonge mes fils de soie dans le bac à indigo. Cela a transformé mon rapport à la création, me rendant plus conscient de l’impact écologique de mon travail. J’essaie de réduire mon empreinte carbone en recyclant mes matériaux, y compris les fils de laine hérités de mon arrière-grand-mère et des invendus récupérés aux Pays-Bas.
Quelles sont tes impressions sur Taïwan en tant que Français ?
Taïwan offre une véritable explosion de stimulations olfactives !
Quelles sont les différences, s’il y en a, entre l’artisanat et l’art ?
L’art se concentre sur le cheminement et le processus de création ; l’œuvre n’a pas nécessairement pour objectif d’être « esthétiquement belle ». En revanche, l’artisanat vise la possibilité de reproduire une même forme à des fins pratiques. Une technique peut être inscrite dans un contexte artisanal ou artistique : cela dépend de l’intention de l’artiste ou de l’artisan, de là où s’inscrit leur travail, de leur contexte et de leur mode de présentation.
Que peut-on faire pour sauvegarder certains artisanats millénaires ?
Encourager les artistes et artisans à continuer d’expérimenter et d’explorer. Sauvegarder, c’est résister. Je vois cela comme une pratique activiste : préserver un langage, une culture ou un artisanat permet de maintenir une pluralité et une diversité culturelles.
Est-ce que l’art taïwanais peut devenir un soft power et aider Taïwan à se faire connaître ?
Taïwan est déjà bien connue pour son économie, en particulier pour ses semi-conducteurs et microprocesseurs. Je pense que nous pourrions, au niveau local, nous inspirer de la manière dont Taïwan valorise ses savoir-faire et ses communautés aborigènes.
Si tu devais nous faire découvrir trois artistes taïwanais, lesquels seraient-ils ?
Yuma Taru, qui préserve les pratiques textiles de sa tribu, les Atayal ; Huang Wen-Ying, pour son tissage en métal, qui m’a inspiré à travailler avec les collections du musée ; et Liou Chiou-se, dont les ikats et leurs couleurs inspirent également mon travail.
Quels sont tes projets futurs ?
J’ai reçu le soutien de la Fondation Stokroos pour développer un textile inspiré de mes données biométriques de sommeil. Cette aide me permet de réaliser une trame numérique pour un futur tissage d’un cycle lunaire de 29 nuits, avec des fils métalliques. Je participe également à une publication sur l’économie et la politique du sommeil avec Agata Bar et Andrea Knezovic, éditée par Onomatopee. J’ai aussi des expositions prévues pour 2025 et 2026 mais ne peut trop en dire pour le moment. Stay tuned 🙂
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