Dans notre objectif de vous faire découvrir les acteurs francophones de Taïwan, aujourd’hui Insidetaiwan.net est parti à la rencontre de Cécile Renault. Elle est actuelle Conseillère de coopération et d’action culturelle, directrice du Centre de coopération et d’action culturelle de Taipei. Nous avons balayé de nombreux sujets, tous liés à la culture.
Elle nous en dit plus sur les projets en développement, sur le Débat d’Idées et sur la place de la culture française à Taïwan et auprès des Taïwanais.
Bonjour Cécile, merci de prendre le temps de répondre à nos questions, peux-tu te présenter pour nos lecteurs ?
Bonjour, je suis Conseillère de coopération et d’action culturelle au Bureau Français de Taipei depuis le mois de septembre 2022. Auparavant, j’ai passé la majeure partie de ma carrière dans le secteur culturel, en France, et notamment dans des institutions telles que le 104, lieu dédié à tous les arts dans le nord de Paris, au Théâtre National de Chaillot ou au musée du quai Branly. J’ai ensuite intégré le Conseil d’Etat, la cour de cassation de la juridiction administrative, où je suis maîtresse des requêtes.
Quel est le rôle du Centre de Coopération et d’Action Culturelle de Taipei ?
Notre travail au Service de coopération et d’action culturelle consiste à enrichir et développer les échanges qui existent de longue date entre la France et Taïwan. Nous encourageons, au sein de l’Espace Campus France, les jeunes taïwanais et taïwanaises à venir étudier en France. Via l’Alliance française, nous promouvons l’enseignement du français et les deux écoles françaises à Taipei sont des relais essentiels pour le rayonnement de notre pays.
Plus généralement nous portons et soutenons de nombreuses coopérations très dynamiques, les sciences dures et l’innovation (via la FrenchTech en particulier) et les sciences humaines, la culture et les arts, les industries culturelles et créatrices (réalité virtuelle, 3D, cinéma, plate-formes, etc) qui sont une priorité. Nos partenaires sont, en France et à Taïwan, les laboratoires, les grandes agences scientifiques et de recherche, les universités, les grandes institutions culturelles, etc.
Tu en es actuellement sa directrice, en quoi consiste ton rôle ?
Je coordonne tout d’abord une équipe composée à la fois d’agents taïwanais et français qui sont experts, respectivement, de la coopération universitaire et scientifique, audiovisuelle, culturelle, et en matière de langue française et de débat d’idées. Chacun est en contact régulier avec les institutions et artistes en France et à Taïwan de son secteur afin de faciliter l’émergence de projets communs et innovants. Je suis à leurs côtés pour les aider, veiller à la cohérence de notre action et à la bonne circulation de l’information.
Je suis aussi moi-même force de proposition et je mets en œuvre les priorités définies par les autorités françaises et le Directeur du Bureau Français de Taipei pour le secteur culturel et scientifique.
Concrètement, cela représente beaucoup de rencontres, de visites et de discussions afin de bien comprendre les besoins des uns et des autres. Je dois à la fois être à l’écoute et force de proposition afin que ce secteur de la coopération reste dynamique. Notre métier est d’abord un métier de rencontres, de contacts et d’échanges, et c’est ce qui le rend passionnant.
Peux-tu nous citer des projets que vous avez menés par le passé ?
Il est difficile de choisir car les projets sont nombreux et tous d’excellente qualité ! Parmi les projets qui se sont tenus récemment, je citerai la Nuit Blanche Taipei, fruit d’une collaboration avec la ville de Paris et qui est aujourd’hui devenue familière du grand public taïwanais avec plus de 400.000 participants ! Dans le secteur du livre, le Salon international du Livre de Taipei (TIBE) qui vient tout juste de s’achever, a constitué un grand moment : après trois éditions marquées par les restrictions sanitaires, les éditeurs et auteurs français étaient de retour sur place, et le Pavillon français co-organisé avec la librairie francophone le Pigeonnier fut un très beau succès.
Dans l’audiovisuel, nous sommes fiers du nouveau projet de résidence musicale mené avec le festival LUCfest de Taïnan qui a permis à des musiciens français de travailler avec des taïwanais. Enfin, l’exposition « Enfers et fantômes d’Asie », conçue par le musée du quai Branly et qui s’est tenue au musée des beaux-arts de Tainan en 2022 a battu des records d’audience ! De manière plus discrète, nous œuvrons aussi à la relance de la coopération scientifique, qui a souffert de la fermeture des frontières, avec les grands acteurs français : CNRS, ARM, INSERM, CEA, etc.
Les liens culturels entre la France et Taïwan semblent importants, comment les Taïwanais perçoivent la culture française ?
De manière générale, je dirais que les Taïwanais, qui témoignent d’une grande curiosité et d’un grand appétit pour la culture, connaissent la culture française qu’ils perçoivent comme riche et à l’avant-garde, particulièrement dans le secteur artistique. La culture française est d’ailleurs l’un des premiers facteurs d’attractivité de notre pays : nombreux sont les étudiants des filières artistiques et culturelles à choisir la France comme destination car l’expertise culturelle française est reconnue. De fait, je rencontre très souvent des artistes ou des acteurs du milieu culturel qui ont été formés en France et qui parlent parfaitement notre langue.
Le défi pour nous est double : d’une part, veiller à ne pas renforcer les clichés, dans l’idée d’une culture française raffinée et élégante, mais figée, et d’autre part développer l’image d’une culture française contemporaine, en écho aux initiatives innovantes et transdisciplinaires en France qui se nourrissent d’autres disciplines comme les sciences.
Qui sont les artistes et les auteurs français appréciés à Taïwan ?
Comme ailleurs en Asie du Nord-Est, les grands auteurs et artistes classiques français restent les plus connus du public taïwanais, comme Victor Hugo, Marcel Proust, Claude Debussy, Claude Monnet, Camille Claudel et bien d’autres.
Le public taïwanais apprécie beaucoup le cinéma français depuis la « Nouvelle vague », ainsi que des acteurs et actrices, comme Isabelle Huppert, qui viendra au mois de mars au Théâtre National de Taïchung pour jouer dans la pièce La Cerisaie d’Anton Tchekov mise en scène par Tiago Rodrigues.
La littérature française contemporaine connaît aussi un grand succès à Taïwan. Tous les romans d’Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature 2022, y sont traduits en mandarin et nous aimerions pouvoir répondre positivement aux nombreuses demandes qui nous ont été faites de l’inviter à Taïwan…
Dans un pays friand de bande dessinée, la BD française est aussi appréciée, comme Pénélope Bagieu dont les albums « Culotées » ont été traduits.
Tu viens de lancer le projet « Débats d’Idées » pour l’année 2023… Peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?
Le débat d’idées est devenu un axe fort de notre action à Taïwan, en écho à la programmation de l’Institut Français qui a lancé la « Nuit des idées » dès 2016. Il s’agissait au départ de réunir des voix françaises et taïwanaises pour dialoguer autour des grands enjeux de notre temps, et le rendez-vous s’est enraciné depuis. A Taïwan, nous travaillons étroitement avec notre partenaire, le ministère de la culture, qui nous apporte un soutien précieux.
Le goût de la controverse, de la joute verbale, est particulièrement fort en France, depuis toujours. Ces dernières années, les formations en rhétorique se sont développées. Avec l’essor des réseaux sociaux et une moindre lecture des journaux, la qualité d’information diminue ainsi que la capacité à dialoguer sereinement avec ceux qui ne partagent pas le même avis. Ces évolutions rendent d’autant plus importante la création de moments où l’on peut réfléchir en s’appuyant sur des scientifiques, en abordant des sujets non nécessairement consensuels.
Cette année, le thème retenu par l’Institut français est : « Plus ? ». Nous le développons ensuite à Taiwan, avec nos partenaires français et taïwanais, autour de problématiques concrètes.
Pourquoi avoir souhaité transformer « la nuit des idées » en débats déclinés toute l’année ?
Initialement, la Nuit des Idées avait lieu une seule et même soirée à travers le monde : chaque année, le dernier jeudi du mois de janvier, les centres culturels français sur les cinq continents invitaient tous les lieux de culture et de savoir à célébrer ensemble la libre circulation des idées en proposant, le même soir, conférences, rencontres, projections ou performances artistiques.
Pour Taipei, le calendrier n’était pas idéal, car souvent à proximité des congés du Nouvel an lunaire. Par ailleurs, on s’est rendu compte qu’une seule rencontre était peut-être trop limitative : en effet, comment débattre sans avoir le temps de se renseigner, de réfléchir par soi-même ? Pour éviter que cette nuit se réduise à un seul événement et pour répondre à la demande de débat, le format évolue. Désormais, des rendez-vous sont proposés durant toute l’année qui permettent d’appréhender toutes les facettes d’un sujet, de mieux connaître la pensée des invités avant même leur venue, en traduisant leur livre ou en diffusant des documentaires, etc.
Le sujet du vivant les thématiques abordées comme l’anthropocène, ne semblent pas facile d’accès, comment avez-vous choisi le sujet ?
Nous vivons une « crise du vivant », caractérisée notamment par une diminution rapide et inédite du nombre des espèces animales et végétales et je suis convaincue que tout le monde en a désormais conscience.
A Taïwan, les défis posés par le réchauffement climatique sont très forts, qu’il s’agisse de perte de la biodiversité marine, de montée des eaux ou encore de protection des espaces forestiers. Le gouvernement s’est fixé un objectif zéro carbone pour 2050, mais les discussions portent davantage sur la production d’énergies propres et sur les solutions offertes par la technologie que sur les modes de consommation eux-mêmes.
L’ »anthropocène », c’est l’idée qu’à notre époque, c’est l’action de l’homme qui modifie directement la nature, le climat ou encore la biodiversité. Les penseurs de l’anthropocène proposent de modifier notre regard sur le vivant, suggérant des pistes pour répondre à l’éco-anxiété, c’est-à-dire l’angoisse, en particulier chez les jeunes, face à ces évolutions que nous provoquons. Je ne crois pas que ces idées soient plus difficiles à comprendre que le calcul d’un bilan carbone ou encore les liens entre réchauffement climatique et augmentation des typhons, etc.
Si l’on reprend par exemple l’expression de Philippe Descola, « la nature n’existe pas », il veut tout simplement dire que la séparation entre les animaux et les humains, qui nous semble évidente, n’est pourtant pas présente dans toutes les cultures, y compris dans certaines cultures autochtones taïwanaises, et que nous pourrions, en nous inspirant d’elles, envisager un rapport moins utilitariste, qui finalement profiterait à l’ensemble des vivants.
L’anthropocène, ce n’est donc ni une vision catastrophiste ni culpabilisatrice, mais une réflexion qui nous permet de penser autrement, d’inventer d’autres manières de vivre-ensemble. Cette réflexion inspire de nombreux artistes en France, qui réalisent des œuvres accessibles à tous et connaissent un grand succès.
Quels sont les objectifs que tu souhaites atteindre à la fin de cette série de débats ?
Bien sûr, ce type de démarche s’adresse d’abord à un public déjà sensibilisé, mais il faut souligner que nous avons la chance, à Taiwan, de travailler dans une société libre et démocratique, dans laquelle le débat est possible, et nécessaire. La France est très originale dans sa coopération à Taiwan en proposant à la fois ces exercices de réflexion commune qui peuvent être exigeants, mais aussi des évènements grand public, comme la Nuit Blanche, durant lesquels les artistes évoquent souvent les mêmes thèmes. Il faut souligner que les deux approches, complémentaires, fonctionnent très bien.
Ainsi, je souhaite à la fois que la pensée de Philippe Descola, anthropologue, médaille d’or du CNRS et membre du collège de France, soit mieux connue à Taïwan, mais aussi qu’elle puisse s’enrichir de la culture taïwanaise. Au-delà de Philippe Descola, c’est tout un courant de pensée et de création que je souhaite rendre accessible au grand public.
Tout au long de l’année, des penseurs français vont échanger avec leurs homologues taïwanais. De ces échanges naîtront peut-être des collaborations, colloques, ouvrages collectif, expositions.
Peux-tu nous donner les prochaines dates du « Débats d’Idée » ?
Le 18 février, Julien Rousseau, conservateur du musée du quai Branly, qui a été le commissaire des expositions « Enfers et fantômes d’Asie » et « Ultime combat » a proposé une conférence-débat sur le thème « Magie et culte de la nature : quelques exemples des collections d’Asie du musée du quai Branly-Jacques Chirac ».
A l’occasion du mois de la francophonie en mars, nous présenterons une exposition de planches d’Alexandre Lepage, bédéiste récompensé en 2018 par le Grand prix du festival BD-Boum de Blois, notamment l’auteur d’un cycle de BD de reportage sur Tchernobyl, d’une odyssée aux Îles Kerguelen et d’une mission en Antarctique.
Au mois de juin, ce sujet sera abordé sous l’angle juridique. Aujourd’hui, de nombreux chercheurs s’interrogent sur l’opportunité d’attribuer un statut juridique à certaines entités naturelles (fleuves, montages), aux animaux, voire aux végétaux.
Le cycle des débats s’achèvera au mois de novembre, avec la Nuit des Idées, qui permettra à Philippe Descola de dialoguer avec des personnalités taïwanaises et avec le grand public.
Le programme ne cesse de s’étoffer, donc j’invite chacun à suivre l’actualité sur les outils de communication du BFT, que ce soit le site Internet ou la page Facebook.
Sur le site du BFT il est question d’une enquête menée par de jeunes français et taïwanais autour de ce Débats d’idées, Peux-tu nous en dire plus sur leur implication ?
Nous avons souhaité que le débat d’idées soit organisé en association avec des jeunes. Un groupe d’étudiants français en échange universitaire et d’étudiants taïwanais apprenant le français se réunissent régulièrement pour réfléchir sur des thèmes tels que la politique environnementale taïwanaise ou encore la relation des autochtones à leur environnement.
Nous ne leur imposons pas de cadre ni de résultat, mais sommes prêts à faire connaître et partager le travail ainsi réalisé lors de la Nuit des idées ou avant. Nous allons aussi organiser un atelier, au mois de septembre, qui permettra à des étudiants de rencontrer des jeunes réalisateurs autochtones pour sélectionner des courts métrages qui seront présentés lors de la Nuit des idées.
Il est encore temps, pour tous ceux qui souhaitent participer à cette aventure, de nous rejoindre !
Quels sont les autres projets culturels de l’année ? Et as-tu des idées que tu souhaites développer ?
La Nuit des Idées aura lieu tout le long de l’année 2023, il sera un peu notre fil directeur. Mais nous aurons bien sûr de nombreux projets.
En mars, nous célébrerons la francophonie et la langue française avec en point d’orgue la journée internationale de la langue française le 21 mars. Toujours en mars, nous lancerons un nouveau festival du film français à Taïwan. Parmi les autres rendez-vous, à l’automne : la Nuit Blanche Taipei et la Semaine de la philosophie sont des incontournables.
Nous venons par ailleurs de lancer un nouveau format de discussion, le Café Scientifique. Il s’agit d’évènements de vulgarisation scientifique qui auront lieu tous les deux mois et permettront à des experts taïwanais et français de présenter les dernières avancées en matière de recherche et d’innovation. Ces évènements s’adressent à tous, spécialistes ou simples curieux. Nos experts feront de courtes présentations en anglais, le tout dans une atmosphère détendue, propice aux discussions animées et aux rencontres.
A titre personnel, quels artistes et auteurs taïwanais apprécies tu et que tu aimerais nous faire découvrir ?
J’apprécie beaucoup la peinture de Paul CHIANG, que j’ai eu la chance de rencontrer en visitant le futur Paul Chiang Arts Center à Taichung. Son œuvre est prolifique, depuis de petits tableaux sombres inspirés de Notre-Dame aux grands formats aux rouges ou aux bleus magnifiques. J’espère que l’ouverture du musée, et l’accueil d’artistes en résidence, permettra au plus grand nombre de découvrir cette œuvre, et j’aimerais aussi que des musées français puissent l’exposer.
J’aimerais aussi que Sophie HONG, créatrice de mode et de bijoux, soit mieux connue, à Taïwan comme en France. Elle réalise depuis des années des vêtements au design original et aux matériaux de couleurs et de touchers incroyables. Elle a une boutique à Taipei et à Paris : je vous invite à la visiter et espère aussi que des expositions de ses œuvres seront bientôt organisées.
Parmi les jeunes artistes, je retiens le poète – metteur en scène de Very Théâtre, CHOU Tung-yen, qui parvient à mêler mise en scène, jeu d’acteurs et innovation technologique. J’ai eu la chance d’assister, lors du festival XR de Kaohsiung, à une présentation de ses travaux, et notamment de In the Mist. Il sera bientôt programmé au TPAC et je recommande vivement ce travail. Je pense aussi à la réalisatrice Singing CHEN, dont l’œuvre immersive The man who couldn’t leave, elle aussi présentée à Kaohsiung et primée à la biennale de Venise en 2022, m’a impressionnée. Elle est aujourd’hui visible au Musée national des droits de l’homme de Taipei.
Enfin, j’ai récemment découvert le travail de CHANG Chin-Yi, que nous avons invitée au salon international du livre pour échanger avec Cécile PALUSINSKY au sujet du livre innovant. Plasticienne, elle expérimente des croisements de son art avec le livre. Les lecteurs de « Taïwan Insider » l’auront peut-être découverte lors de la Biennale d’art contemporain 2022 dont le commissaire était Bruno LATOUR.
Enfin pour finir peux-tu nous donner 3 lieux à Taïwan où nous avons des chances de te croiser ?
Dans les théâtres et musées de Taipei d’abord, bien sûr ! Ensuite à la librairie francophone Le Pigeonnier, pour feuilleter des livres, trouver des idées, assister aux nombreuses rencontres et retrouver un petit air de France dans une jolie rue de Taipei. Et enfin, à titre plus personnel, dans le bain d’une source d’eau chaude, sans pour l’instant pouvoir vous dire laquelle car j’ambitionne de les essayer toutes !
Si vous avez aimé cette interview et en savoir plus sur la présence culturelle française à Taïwan, n’hésitez pas à lire notre interview du directeur de l’Alliance Française.