Le mouvement #MeToo à Taïwan et ses implications politiques

Wave Makers stimule le mouvement #MeToo à Taïwan, influençant les réponses politiques et sociétales face au harcèlement sexuel
#MeToo à Taïwan - Copyright : Taiwan News

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L’émission « Wave Makers » (人選之人-造浪者, 2023), saluée sur Weibo pour avoir abordé le harcèlement sexuel, est désormais reconnue comme le catalyseur du mouvement #MeToo à Taïwan. Inspirée par le message fort du protagoniste « Ne laissons pas tomber » face au harcèlement sexuel, une ex-collaboratrice du Parti démocrate progressiste (DPP, 民主進步黨) a révélé avoir été importunée par un cinéaste après un tournage pour le DPP. Suite à sa déclaration de fin mai, une série d’accusations d’agressions sexuelles a visé des personnalités politiques et des figures de la dissidence chinoise, dont le militant pro-démocratie chinois Wang Dan (王丹), l’ex-directeur adjoint du bureau polonais à Taipei Bartosz Ryś, et Fu Kun-chi (傅崐萁) du Kuomintang (KMT, 中國國民黨).

Cet élan a amené les analystes à s’interroger sur l’impact de ce mouvement #MeToo sur le paysage politique taïwanais. Malgré le contraste saisissant entre ces événements et la culture de démocratie ouverte vantée à Taïwan, les responsables gouvernementaux semblent réagir fermement. Ce mouvement offre ainsi une opportunité cruciale pour les décideurs politiques de réévaluer la prise en charge des victimes de harcèlement et d’agression sexuels, tout en démontrant la manière dont Taïwan, en tant que démocratie établie, gère ces allégations.

#MeToo et le contexte juridique


Initialement popularisé aux États-Unis en 2017, le mouvement #MeToo a gagné l’Asie, notamment le Japon et la Corée du Sud, l’année suivante. L’arrivée tardive de ce mouvement à Taïwan, cinq ans après, soulève des questions : Pourquoi seulement maintenant ? Pourquoi un tel délai ? Chen Mei-hua (陳美華), professeure de sociologie à l’Université nationale Sun Yat-Sen (國立中山大學), explique que beaucoup de Taïwanaises ont appris à tolérer le harcèlement sexuel, privilégiant une vision d’ensemble plutôt que la confrontation individuelle.

Femme et pancarte #MeToo – Copyright : Mingpao News

Chen souligne aussi que Taïwan a tardé à établir un cadre juridique pour ces affaires. Le terme « harcèlement sexuel » est apparu simultanément au Japon et à Taïwan dans les années 1990, gagnant en notoriété au Japon vers 1992. Le Japon a modifié sa loi sur l’égalité des chances en matière d’emploi en 1997, y intégrant des directives contre le harcèlement sexuel, tandis que Taïwan n’a adopté sa propre loi (性騷擾防治法) qu’en 2006, près de dix ans après. La Corée du Sud a, quant à elle, inclus des dispositions sur le harcèlement sexuel dans sa loi sur l’égalité en matière d’emploi dès 1999.

Cette lenteur relative à aborder le harcèlement sexuel pourrait expliquer la progression plus tardive du mouvement #MeToo à Taïwan. Néanmoins, comme le souligne l’avocate taïwanaise Audrey Lu, ce mouvement actuel n’est pas un phénomène isolé, mais le résultat de nombreuses années de lutte contre le harcèlement et les agressions sexuels, impliquant des efforts continus de plusieurs générations d’hommes et de femmes, et non pas simplement une réaction immédiate à une série télévisée.

Chronologie des principaux événements en 2023

  • 31 mai :
    • Chen Chien-Jou (陳汘瑈), ex-collaborateur du DPP, critique sur Facebook la gestion inadéquate de Hsu Chia-tien (許嘉恬), responsable de l’égalité des sexes du DPP.
  • 1er juin :
    • Chen Wen-hsuan (陳汶軒), ancienne collaboratrice du DPP, accuse Tsai Mu-lin (蔡沐霖) de négliger ses plaintes de harcèlement sexuel contre un collègue du DPP.
    • Démission de Hsu Chia-tien, secrétaire général adjoint du DPP.
  • 2 juin :
    • Accusations de gestion inappropriée d’une affaire de harcèlement sexuel à New Taipei contre Hou You-yi (侯友宜), maire KMT, résultant en un suicide.
    • Démission de Tsai Mu-lin, collaboratrice du vice-ministre du travail du DPP Lee Chun-yi (李俊俋).
    • Excuses publiques et annonce de réformes par William Lai (賴清德), vice-président et président du DPP.
    • Excuses de la présidente Tsai Ing-wen (蔡英文) sur Facebook pour la mauvaise gestion des plaintes de harcèlement sexuel par le DPP.
  • 3 juin :
    • Tung Cheng-yu (董成瑜) accuse Fu Kun-chi, législateur du KMT, de harcèlement sexuel.
    • Accusations contre le Parti populaire de Taïwan (PPT, 台灣民眾黨) pour avoir ignoré des plaintes de harcèlement sexuel.
    • Engagement du KMT à enquêter sur Fu Kun-chi.
    • Déclaration immédiate de Ko Wen-je (柯文哲), président du PPT, sur le traitement des allégations de harcèlement sexuel.
  • 4 juin :
    • Accusation de harcèlement sexuel contre Mark Ho (何志偉), législateur du DPP.
  • 5 juin :
    • Accusation de harcèlement sexuel contre un ancien commissaire à l’égalité des sexes de Taipei sous Ko Wen-je.
    • Excuses d’Albert Tzeng (曾柏文), chercheur affilié au KMT, suite à des accusations de harcèlement sexuel (le KMT nie toute association actuelle).
  • 6 juin :
    • Confirmation par le tribunal que Chen Hsueh-sheng (陳雪生), législateur du KMT, doit payer 80 000 NTD pour harcèlement sexuel envers une législatrice du DPP.
    • Second message d’excuses et promesse de réformes par Tsai Ing-wen.
    • Démission de Yan Chih-fa (顏志發), conseiller en politique nationale de Tsai Ing-wen, suite à des accusations de harcèlement sexuel (qu’il nie).
  • 13 juin :
    • Retrait de la candidature de Lin Fei-fan (林飛帆), du DPP, de la commission pour l’égalité des genres du DPP pour assumer ses responsabilités.
Activistes #MeToo – Copyright : REUTERS/Ann Wang

Gestion au sein des différents partis politiques

Alors que les premières vagues du mouvement #MeToo ciblaient principalement le DPP, d’autres affaires ont impliqué des personnalités du KMT et du TPP, ainsi que des individus hors du monde politique, notamment dans le secteur du divertissement. Un élément notable dans cette chronologie est la réaction du DPP face aux accusations, acceptant jusqu’ici toutes les allégations sans les contester. Par exemple, Yan Chih-fa, qui avait initialement nié les accusations et porté plainte pour diffamation le 5 juin, a finalement retiré sa plainte et démissionné.

À l’opposé, le KMT et le TPP n’ont pas montré la même promptitude à reconnaître des fautes. Ces deux partis ont soit affirmé avoir déjà traité les allégations (comme dans le cas de Ko Wen-je), soit n’ont pas pris de mesures visibles pour accroître la responsabilité (comme dans le cas de Fu Kun-chi). Alors que plusieurs officiels du DPP impliqués dans une gestion inappropriée ont démissionné, le KMT continue de soutenir Chen Hsueh-sheng comme candidat à un siège législatif de Matsu, malgré sa condamnation pour harcèlement sexuel.

Des analystes politiques suggèrent que la réaction disproportionnée du DPP pourrait être due à plusieurs facteurs. Premièrement, le parti, en tant que gouvernement au pouvoir et première cible des accusations, pourrait subir une pression plus forte. À l’approche des élections, le DPP pourrait craindre de perdre le soutien des femmes et des jeunes électeurs, plus sensibles aux questions de genre. Enfin, le DPP pourrait espérer que la démission de hauts responsables incite le TPP et le KMT à suivre son exemple. Quoi qu’il en soit, parmi les trois partis, le DPP est le seul à avoir jusqu’à présent pris des mesures concrètes en faveur de sa réforme.

Impacts à long terme des derniers mois

Les réformes politiques

Les réponses du DPP et du gouvernement taïwanais au mouvement #MeToo comprennent des propositions de réforme politique significatives. Lai Ching-te, président du DPP, a été le premier à annoncer des réformes des procédures du parti. Selon lui, le DPP instaurera un bureau dédié au sein de son département de l’égalité des sexes pour traiter les cas de harcèlement sexuel. Pendant l’enquête, l’anonymat des parties impliquées sera préservé, une assistance juridique et des conseils seront fournis, et les coupables, une fois identifiés, seront licenciés et interdits de travailler au sein du parti. Lai a aussi promis de réviser la charte du parti pour y inclure un cadre de soutien à l’égalité hommes-femmes, avec des programmes éducatifs.

Le 6 juin, Tsai Ing-wen a annoncé sur Facebook que le Premier ministre Chen Chien-ren (陳建仁) avait été chargé d’examiner le changement possibles et de proposer des réformes dans trois domaines clés :

  1. Définir précisément le harcèlement sexuel ;
  2. Améliorer les mécanismes de signalement et la capacité d’intervention des autorités ;
  3. Réviser et amender la loi sur l’éducation à l’équité entre les sexes.

Le 13 juillet, cinq semaines après la prise de parole de Tsai, le Yuan exécutif a validé des projets d’amendements à la loi sur l’éducation à l’égalité des sexes, la loi sur l’égalité des sexes en matière d’emploi et la loi sur la prévention du harcèlement sexuel, visant à combattre le harcèlement basé sur le pouvoir. Ces amendements, incluant des mesures immédiates pour les employeurs et des sanctions plus sévères, ont été adoptés rapidement et devraient entrer en vigueur le 8 mars 2024. Women’s March Taiwan (我們台灣) a apprécié cette approche « centrée sur les victimes », qui devrait encourager davantage de témoignages. Néanmoins, des lacunes subsistent, notamment un délai de prescription limité et un flou sur les comportements hors du travail. Ces mesures s’alignent sur les réformes du lieu de travail initiées par le Japon en 2019. En comparaison, la loi japonaise sur le harcèlement de pouvoir, adoptée plus d’un an après le début du mouvement #MeToo au Japon, a pris plus de temps à entrer en vigueur que les réformes rapides du DPP.

Mouvement #MeToo à Taïwan – Copyright : Mingpao News

Implications pour les élections


Les premières allégations ciblant le DPP, parti au pouvoir à Taïwan, ont entraîné une forte critique de la part des électeurs. Le Centre d’opinion publique de Taïwan (TPOC, 台灣議題研究中心) a observé que la cote de popularité du DPP est restée au-dessus de 30 % d’avril à juin, atteignant même 53 % en mai. Toutefois, suite aux allégations, elle a chuté à 21 %, avec 27 975 messages négatifs sur les médias sociaux. Entre le 1er et le 9 juin, TPOC a constaté que le DPP, le KMT et le TPP avaient des niveaux de favorabilité similaires sur les médias sociaux en lien avec #MeToo – le DPP à 13 %, le KMT et le TPP à 15 % chacun. Le DPP a été le plus discuté, avec 219 137 messages, dont 96 498 négatifs.

Un article du Daily View a révélé que la cote de popularité de Lai Ching-te a chuté de 35 % à 28 %, et celle de Tsai Ing-wen de 40 % à 31 %. Reste à voir si ces baisses d’approbation se refléteront dans les votes. Selon un sondage de la Fondation taïwanaise pour l’opinion publique (TPOF, 台灣民意基金會) du 20 juin, 34,5 % des sondés se disaient satisfaits de la gestion des allégations de harcèlement sexuel par Lai. Sur le « thermomètre des sentiments » du TPOF, Lai avait une légère avance sur d’autres candidats. Cependant, le TPOF souligne que la cote de Lai a baissé ces deux dernières années, tandis que celle de Ko Wen-je est restée stable.

Les résultats du sondage de juillet du TPOF montrent que le DPP n’a pas été durablement affecté par les allégations #MeToo. Lai est en tête avec 36,4 %, suivi de Ko et Hou. Même avec Terry Gou (郭台銘) dans la course, Lai reste en tête. Les femmes tendent à soutenir Lai plus que les autres candidats, un point crucial puisque la majorité des partisans du DPP sont des femmes.

Bien que le mouvement #MeToo ait mis du temps à émerger en Taïwan, le gouvernement a rapidement réagi aux allégations et adopté des amendements aux lois existantes. Il reste à voir si les réformes seront efficaces contre le harcèlement sexuel et si les résultats des prochaines élections changeront la donne.


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À propos de l'auteur

  • Luc

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