Anthony : « L’apnée est un mode de vie »

Partez avec nous à la rencontre d'Anthony, spécialiste de la plongée en apnée et grand amoureux des océans
Plongée en apnée - Copyright : VD Freediving

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Nous avons eu la chance de pouvoir échanger avec Anthony, spécialiste et amateur de plongée en apnée qui nous parle de sa vie, de son école et bien sûr de son amour pour la plongée en apnée. Une interview fleuve avec un homme qui se confie et raconte sa passion comme aucun autre.

Cet homme aux multiples activités et facettes (écrivain, entraîneur, entrepreneur, plongeur…) a fondé son école de plongée à Xiaoliuqiu et si cette interview vous a donné envie de le rencontrer ou d’essayer la plongée en apnée, n’hésitez pas à prendre contact avec lui.

Anthony, peux-tu te présenter brièvement et nous parler de ton parcours ?

Je suis un passionné d’apnée et j’en ai fait mon métier. Avec Jiayin, mon épouse, nous avons fondé notre école à Taïwan il y a maintenant 5 ans. Ça s’appelle VD Freediving et nous sommes actuellement basés à Xiaoliuqiu.

Je suis né dans le Sud-Ouest de la France il y a 44 printemps, au pays du foie gras, de l’Armagnac, des troisièmes mi-temps et de l’accent qui chante, dans un village de 766 habitants. Je suis Gascon et fier de l’être. Et pourtant, bien que très attaché à mes racines gersoises, dès que j’ai pu, je suis parti. Le besoin d’aller voir ce qu’il y avait de l’autre côté de la vigne, derrière la forêt de chênes, a toujours été plus fort que tout. Chemin faisant, j’ai franchi les frontières, les montagnes et les mers. Cela m’a conduit à l’autre bout du monde.

Happy couple – Copyright : VD Freediving

J’ai fait plein de boulots très différents les uns des autres : électricien en Suisse, compositeur de musique pour publicités à Paris, photographe professionnel en Indonésie, gérant d’une usine de tee-shirts à Bangkok, pour n’en nommer que quelques-uns. J‘ai vécu 5 ans en Inde, voyageant pendant près de trois ans sur une Royal Enfield, la moto mythique indienne.

L’Inde a marqué un tournant dans ma vie. Et ce voyage s’est déroulé en deux phases. La première m’a vu plonger dans le cliché du hippie qui se cherche là où il a peu de chances de se trouver : Goa, les plages, la fête, les copains, les abus, un corps qui s’abîme et un esprit qui peine à suivre. Puis, la deuxième phase, le déclic avec un retour brutal à la réalité. Je me souviens être rentré dans ma Gascogne natale, complètement déprimé, ne sachant pas quoi faire de ma vie.

Je me souviens être rentré dans ma Gascogne natale, complètement déprimé, ne sachant pas quoi faire de ma vie.

Anthony

Je ne pesais que 52 kg, et ma mère, les yeux emplis d’inquiétude, m’a dit que j’étais en train de m’éteindre. En gascon, on dit : « Mès vau aulir ua candela que de díver mau de l’escúr. » Il vaut mieux allumer une chandelle que de maudire l’obscurité. Alors, j’ai décidé de changer de vie. Ce changement a été incroyablement difficile, mentalement et physiquement. Je crois que mon voyage vers l’apnée a débuté à ce moment-là, avec la décision d’allumer une « bougie » et de finalement prendre soin de ces cadeaux extraordinaires que sont le corps et l’esprit.

Avant de partir, j’avais composé une musique pour une publicité qui me rapportait quelques royalties, assez pour me permettre de repartir en Inde, d’acheter cette fantastique moto et de vadrouiller dans ce pays extraordinaire. Là-bas, j’ai commencé à écrire mon premier livre, un roman intitulé « Le Brasier Météore ». En griffonnant ces lignes, les souvenirs des levers de soleil dans le désert du Rajasthan, des magnifiques paysages de l’Himalaya, des rues de Varanasi me reviennent, avec aussi les défis : traverser Delhi pour la première fois et sans GPS (c’était bien avant l’avènement du smartphone et de Google Maps), dormir dans les temples à même le sol pour économiser l’argent de la nuit d’hôtel, franchir le col boueux du Rohtang et tomber en panne au milieu de nulle part.

J’étais libre, sans horaire, sans autre obligation que celles que j’avais choisies pour cette nouvelle vie. Il s’agissait simplement de sauter sur ma bécane et de partir. Un peu comme cette image du cowboy, un brin d’herbe à la bouche, s’élançant sur son cheval vers le soleil couchant. Quand j’y pense, et même si cette comparaison peut faire sourire, c’est comme ça que je me sentais. J’étais un cowboy solitaire sauf que mon « cheval » était doté d’un monocylindre et que je n’avais ni revolver, ni Stetson, ni brin d’herbe. Je souhaite à tous de vivre une telle expérience.

C’est sur cette route que j’ai commencé à vraiment prendre soin de moi, pratiquant la méditation, le yoga et le sport. Faisant circuler le sang, comme on dit, et dérouillant la machine. Je suis né une seconde fois là-bas. Et plus rien ne me semblait impossible. Pourtant, à ce moment-là, j’étais loin d’imaginer que, quelques années plus tard, je passerais de Lucky Luke à Jacques Mayol, devenant un apnéiste professionnel.

Comment en es-tu venu à pratiquer la plongée en apnée ?

C’est lors d’un voyage en Indonésie, alors que je préparais une série de photos pour une exposition, que je suis littéralement tombé par hasard dans l’océan. J’étais à Bali et le gérant de mon hôtel, sachant que j’étais à la recherche de la photo parfaite, m’a suggéré d’aller à Amed, un petit village de pêcheurs sur la côte Est de l’île. Il m’a décrit comment, au lever du soleil, les pêcheurs partent tous ensemble, voiles déployées, ressemblant à des papillons qui prennent leur envol. J’avoue qu’il me l’avait bien vendu.

Le jour même, je me suis retrouvé sur un scooter, bien loin de ma 500 cc indienne, en route vers Amed. Bali, l’île des Dieux, est d’une beauté à couper le souffle. J’ai décidé de passer par le nord pour voir le Mont Batur, faire une halte aux chutes d’eau de Sekumpul et passer une nuit à Lovina avant de redescendre vers le sud le long de la côte. Là, j’ai rencontré une Française qui se rendait à Tulamben, un village voisin d’Amed, pour assister à la compétition nationale australienne d’apnée.

L’apnée, pour un Français de ma génération, c’est « Le Grand Bleu ». C’est la musique d’Éric Serra, Jean-Marc Barr et Jean Reno saouls, retenant leurs souffles dans une piscine, et cette histoire sur le dépassement de soi et les dauphins. « Le Grand Bleu » a profondément marqué mon enfance. J’avais regardé ce film un nombre incalculable de fois sans jamais avoir eu conscience qu’il avait été pour moi un véritable cadeau. (Merci, Monsieur Besson).

Quelques jours plus tard, je me trouvais près de la zone de compétition, et allais enfin l‘ouvrir… ce fameux cadeau. Je suis certain que j’étais le seul, à cet instant, à ne rien savoir de l’apnée. L’apnée d’aujourd’hui n’a rien à voir avec ce qui était décrit sur le grand écran de l’époque. Je me souviendrai toujours de ce plongeur qui commença à descendre, se tirant le long de la corde. Le juge annonça : « Thibault Guignes, France, immersion libre, 90 mètres ». Je regardais Thibault disparaître dans l’abîme et pensais avoir mal compris la profondeur annoncée. Et puis…rien… il ne remontait pas ; je regardais autour de moi, mais personne ne semblait s’inquiéter. Après plus de 3 minutes, il refit surface. Incroyable.

Je regardais Thibault disparaître dans l’abîme et pensais avoir mal compris la profondeur annoncée. Et puis…rien… il ne remontait pas ; je regardais autour de moi, mais personne ne semblait s’inquiéter. Après plus de 3 minutes, il refit surface. Incroyable

Anthony

Le lendemain, je m’inscrivais à Apnea Bali, l’école de freediving du coin, pour une journée découverte. Et allez savoir pourquoi, ils m’ont inscrit pour le cours complet de trois jours. J’ai juste saisi l’opportunité sans trop y réfléchir, après tout, je n’avais pas grand-chose d’autre à faire. Car si vous vous demandez si les pêcheurs s’envolent tels des papillons vers l’horizon, la réponse est non. Ils utilisent tous des moteurs et ne déploient leurs « ailes » (voiles) que très rarement. La quête de la photo parfaite allait pouvoir attendre encore quelques jours.

Depuis ce jour-là, au pied d’un autre des volcans balinais, chaque journée de ma vie a été bercée par l’apnée et l’océan. Je suis tombé instantanément fou amoureux de ce sport et ai su que c’était ce que je voulais faire pour les années à venir.

J’ai passé deux ans dans ce village de pêcheurs à m’entraîner, et j’ai eu l’immense chance d’avoir Julia Mouce Domínguez, l’une des meilleures coachs et instructrices d’apnée au monde, à mes côtés. Elle m’a guidé, moi Lo pichòt Gascon (le petit gascon), tout le long de ma carrière, de mes premiers mètres maladroits sous l’eau à Tulamben jusqu’à la mer turquoise des Bahamas, Vertical Blue et le toit du monde de l’apnée.

Qu’est-ce qui rend la plongée en apnée unique par rapport à d’autres formes de plongée

Toute forme de plongée est unique. J’adore aussi la plongée avec bouteille (NDR ; Découvrez notre interview de Gwenola, spécialiste de plongée avec bouteille), et chaque fois que je vais « faire des bulles », c’est un régal. Ce qui compte, c’est l’approche, l’intention que l’on y met. Et je veux profiter de ce moment pour saluer tous les amis « scuba » ; nous avons en commun cet amour inconditionnel pour l’océan et cette soif insatiable d’aventure.

La principale différence, mise à part le fait qu’en apnée on ne respire pas, est que l’apnée est un sport et la plongée avec bouteille est un loisir. Dès le premier jour, l’apnée exige une certaine condition physique et mentale. Dès la première immersion, il y a cette notion de dépassement de soi. Umberto Pelizzari, une des légendes de notre discipline, a dit que le plongeur avec bouteille plonge pour regarder L’Océan, tandis que l’apnéiste plonge pour regarder en lui même. Et je suis complètement d’accord avec ça. L’intention est juste très différente.

le plongeur avec bouteille plonge pour regarder L’Océan, tandis que l’apnéiste plonge pour regarder en lui même

Umberto Pelizzari

Imaginez : Vous flottez paisiblement à la surface. Votre respiration est douce et profonde. C’est une magnifique journée, le soleil brille et une légère brise caresse vos joues. Graduellement, chaque muscle de votre corps se relâche, votre esprit s’apaise et s’évade, vous transportant aux portes du sommeil dans un état de relaxation totale.

Vous prenez alors une inspiration lente et profonde, remplissant pleinement vos poumons. La descente commence, guidée par la ligne. Au début, vos poumons gonflés d’air agissent comme des bouées qui vous retiennent à la surface. Cependant, arrivé à 10 mètres, la pression a réduit leur volume de moitié, vous plongeant dans la zone de flottabilité négative. Seul le moment présent importe. Vous êtes une goutte dans l’océan, vous êtes un océan dans une goutte. À 20 mètres, le véritable voyage commence. Vous entrez dans la phase de chute libre, votre moment préféré. Vous avez travaillé dur pour prolonger ce moment, pour descendre un peu plus profond. La chute libre coche toutes les cases de ce que vous chérissez dans l’apnée : la relaxation totale, le contrôle du corps pour optimiser l’hydrodynamisme, le lâcher-prise, le ralentissement du métabolisme, le silence, l’étreinte de l’océan. Tout y est.

Vous touchez le bout de la ligne, il est temps de remonter. En bas, vous êtes lourd, vos poumons font la taille d’une orange, vous redoubler d’efforts pour vous arracher à la profondeur. Mais à mesure que vous remontez, ils grossissent, vous aidant dans votre ascension. Votre partenaire d’entraînement vient à votre rencontre et vous accompagne. Vous percez la surface et respirez profondément. Cette première bouffée d’air est pure magie.

L’apnée est un mode de vie. Le véritable apnéiste n’est pas guidé par son ego. Il s’entraîne, se prépare, pour que chaque plongée soit un succès. Et quand il refait surface, il ramène avec lui un petit quelque chose des profondeurs, une pièce de son puzzle.

C’est vrai que c’est un peu fou, mais je ne suis pas un trompe-la-mort, aucun apnéiste ne l’est ; nous plongeons avant tout pour célébrer la vie.

Peux-tu nous parler de l’évolution de la plongée en apnée à Taïwan ?

L’apnée a connu une véritable explosion à Taïwan, ainsi que dans le reste du monde d’ailleurs, il y a environ 5 ans. Aujourd’hui, Taïwan est le troisième plus grand marché pour ce sport en Asie, et la croissance ne montre aucun signe de ralentissement. J’aimerais pouvoir dire que cet engouement est principalement dû à une redécouverte de l’océan et de ses merveilles. Mais, en réalité, le phénomène Instagram et le désir de prendre des photos pour les réseaux sociaux ont joué le rôle de déclencheur. Néanmoins, une fois que l’on fait l’expérience de la plongée en apnée, on découvre immédiatement le potentiel immense de ce sport et l’extraordinaire impact qu’il peut avoir sur notre vie.

Un écosystème entier s’est développé autour de l’apnée. Les fabricants d’équipements, bien sûr, ont vu leurs produits s’améliorer non seulement en termes de fonctionnalité, mais aussi en apparence, pour satisfaire le désir croissant d’avoir une allure « cool » sur les dits réseaux sociaux. Ces équipements incluent les combinaisons, des palmes, des tubas, et bien d’autres accessoires nécessaires (ou pas).

En outre, le domaine de la compétition a connu une importante expansion. À Taïwan, de nombreuses sont organisées  en piscine  chaque année, y compris la Pacific Rim Cup (PRC), qui est la plus grosse compétition en piscine au monde. En revanche, les compétitions en mer sont bien plus rares dans la région, principalement en raison de conditions plus favorables pour les plongées en profondeur disponibles à quelques heures de vol, notamment aux Philippines, où les apnéistes peuvent trouver des sites de plongée aux conditions optimales. Cette particularité incite donc les adeptes de ce sport à chercher des opportunités de compétition au-delà des frontières de Taïwan.

Le secteur du tourisme a également connu une expansion, avec l’organisation de voyages dans des destinations aussi prisées que Raja Ampat, les îles Tonga (où l’on peut nager avec les baleines à bosse), le Japon, les Maldives, les Philippines, et plus près de chez nous, les fantastiques îles de Penghu, Ludao, Lanyu, et bien sûr Xiaoliuqiu, où nous avons établi VD Freediving, mon école.

Par ailleurs, une nouvelle génération de photographes et vidéastes s’est spécialisée dans ce domaine, aidant par là même à développer une véritable culture des « sirènes », alimentant les rêves d’enfants de nombreux Taïwanais et Taïwanaises.

Et il y a aussi des kinés du sport et des préparateurs physiques qui ont rejoint l’aventure. C’est unique au monde. Quand nous en parlions avec les athlètes à Vertical Blue, ils étaient tous épatés. Quelle chance de vivre à Taïwan!

L’apnée à Taïwan continuera d’évoluer. Le cursus pour devenir instructeur n’est pas si difficile, offrant une nouvelle voie passionnante pour ceux qui cherchent à se connecter à la fois avec la nature, avec eux-mêmes et à changer de vie.

Et la nouvelle génération arrive; de plus en plus de nageurs semi-professionnels de piscine s’y intéressent. Ils apportent avec eux un savoir, une discipline d’entraînement, et une compréhension de la préparation physique qui changeront sans nul doute l’approche que nous avons du sport. Tout cela est, pour moi, très prometteur.

Quels sont les plus grands défis auxquels tu as dû faire face en tant que propriétaire d’une école d’apnée ?

J’ai dû réfléchir un moment (NDR : à la question…). Cela signifie probablement que ces défis ne me semblaient pas si grands à l’époque. Avec du recul, je dirais que l’ouverture de VD Freediving, notre école d’apnée à Taïwan, n’a pas été une mince affaire. Il y avait, bien sûr, la barrière de la langue, ensuite la nécessité de se faire une place sous le soleil,  de continuer à s’entraîner tout en enseignant, d’obtenir de nouvelles certifications, de travailler d’arrache-pied sans jamais compter les heures et de ne jamais se décourager. Tout cela n’aurait pas été possible si j’avais été seul dans cette aventure. Heureusement, j’ai eu la chance d’avoir une épouse exceptionnelle qui est aussi une incroyable apnéiste et instructrice. Elle a été un soutien sans faille tout au long de ces années.

Nous avons enseigné pendant deux ans à Taipei avant de décider de nous installer à Xiaoliuqiu. Xiaoliuqiu est l’endroit idéal pour pratiquer l’apnée. C’est un lieu facilement accessible, à vingt minutes de bateau de Taiwan, où il fait beau presque toute l’année. Grâce à sa situation géographique, il y a toujours un côté de l’île protégé du vent et des vagues, ce qui est parfait pour nous. Et il y a la profondeur, quasi illimitée, et ça pour un plongeur c’est le Graal.

Plongeur en action – Copyright : VD Freediving

Cette aventure a été un concours de circonstances heureuses. Une connaissance louait une maison à deux étages et, en raison de la baisse de son activité due au Covid, il nous a proposé de louer le deuxième étage. Nous avons accepté immédiatement sans même voir l’endroit. Mais quand nous y sommes arrivés, nous avons réalisé qu’il allait falloir tout repeindre, tout retaper; l’électricité était entièrement à refaire (heureusement, je suis électricien) et j’en passe.

À ce moment-là, nous partagions notre temps entre Xiaoliuqiu en semaine pour rénover le lieu et Taipei les week-ends pour continuer à enseigner. Nous prenions la voiture chaque semaine pour économiser un peu d’argent, le prix du HSR n’étant pas donné. On a fait un nombre incalculable d’allers-retours. Je pense connaître chaque station-service entre Kaoshiung et Taipei comme ma poche.

Ça a pris du temps, mais nous avons finalement réussi à transférer toute notre activité à Xiaoliuqiu. VD Freediving marche bien et nous avons même réussi à ouvrir une seconde école sur l’ile, en effectuant à nouveau tous les travaux nous-mêmes. Quand on aime on ne compte pas.

Tout s’est fait étape par étape. Je n’ai jamais vu la montagne à gravir comme un obstacle; j’ai juste mis un pied devant l’autre. Je suis un passionné, j’avance avec le cœur et les tripes en sifflotant.

As-tu un souvenir ou une expérience en apnée qui t’a particulièrement marqué ?

Il y en a tellement, mais je vais en choisir une. Je suis à Bali, au début de mon aventure. Et je ne suis même pas encore instructeur. Je m’entraîne pour franchir pour la première fois la barrière des 50 mètres, une étape importante pour un apnéiste. Autrefois, les scientifiques pensaient qu’il était impossible de dépasser cette profondeur sans risquer sa vie, affirmant que les poumons s’effondreraient au-delà de ce seuil en raison de la trop grande pression. Mais un apnéiste du nom d’Enzo Majorca, oui, tout comme le personnage du film « Le Grand Bleu », a défié cette théorie en plongeant à 50 mètres et en revenant vivant. Je ne peux qu’imaginer l’état d’esprit dans lequel il se trouvait avant cette plongée, alors que tout le monde lui affirmait que c’était impossible.

Bref, la veille de ma première tentative pour atteindre 50 mètres, nous étions sur la ligne d’entraînement, et en plein milieu de notre session, un gigantesque requin baleine a fait son apparition, émergeant littéralement sur la ligne, à quelques mètres de profondeur. C’était la première fois que je voyais une créature aussi massive dans la nature. J’ai pris cela comme un signe, peut-être un présage positif. Le lendemain, porté par cette rencontre, j’ai réussi une plongée à 55 mètres. Cette plongée a marqué le début de ma quête de profondeur, et j’aime à croire que, à mes côtés lors de cette descente, il y avait ce requin baleine et l’esprit encourageant d’Enzo Majorca.

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite s’initier à la plongée en apnée ?

Il est absolument impératif de suivre une formation avec un instructeur certifié avant de vous lancer dans l’apnée. De nos jours, il existe de nombreuses certifications disponibles, mais il est essentiel de comprendre que l’obtention d’un certificat ne doit pas être votre seul objectif. Plus que le simple bout de papier, ce qui importe vraiment, c’est la compétence et l’expérience de l’instructeur, ainsi que la connexion qui peut s’établir entre vous. Après tout, l’océan est un endroit magnifique mais qui peut également s’avérer dangereux si l’on n’aborde pas son exploration avec le respect et la prudence nécessaires. Il est crucial d’adopter les bons réflexes dès le début et de toujours plonger accompagné de quelqu’un maîtrisant les techniques et les procédures de sauvetage.

Plonger avec un partenaire est important – Copyright : VD Freediving

Lorsque vous choisissez votre école de plongée, assurez-vous que les formations en piscine sont robustes. En effet, c’est principalement dans le cadre contrôlé d’une piscine que l’on perfectionne sa technique. Beaucoup d’écoles, malheureusement, négligent cet aspect de la préparation, privilégiant une progression trop rapide vers les plongées en mer. Prenez le temps de développer solidement vos compétences en milieu contrôlé avant de vous aventurez dans les profondeurs de l’océan, pour une expérience d’apnée plus sûre et plus enrichissante.

Quelles sont les mesures de sécurité que tu recommandes à tout plongeur en apnée, débutant ou expérimenté ?

Peu importe votre niveau, il faut vraiment prendre conscience que vous n’êtes qu’un invité dans l’océan et qu’il vous avalera tout cru si vous vous croyez indestructible. Une plongée se prépare méticuleusement. 

Connaissance du site de plongée :

Avant de vous jeter à l’eau, renseignez-vous minutieusement sur le site choisi. Repérez les points d’entrée et de sortie de l’eau, identifiez l’emplacement idéal pour fixer votre bouée, et familiarisez-vous avec les profondeurs et les courants du secteur. Bien sûr regardez la météo du jour, parfois ça « souffle » à Taiwan. Dans des zones fréquentées par des bateaux, comme à Xiaoliuqiu où de nombreux petits pêcheurs opèrent, signalez votre position à l’aide d’une bouée de couleur vive (orange ou jaune) et d’un drapeau. Gardez à portée de main les numéros des gardes-côtes, des pompiers et du SAMU pour les urgences. Emportez également une trousse de premiers soins et suivez une formation aux gestes de premier secours.

Faune locale

Renseignez-vous sur la faune que vous pourriez rencontrer. À Taïwan, le principal danger réside dans les méduses, mais rassurez-vous, Il n’y a pas de requins.

Équipement

Il est impératif de disposer d’un équipement en parfait état. Préférez une bouée spécifiquement conçue pour l’apnée, facilement visible en surface, accompagnée d’un drapeau rouge à diagonale blanche. Évitez les bouées aux couleurs sombres, telles que le noir ou le bleu foncé; l’objectif est d’être facilement repérable, pas d’avoir l’ air cool. Équipez-vous d’une poulie spéciale, d’une corde adaptée à l’apnée, et d’un poids oscillant entre 8 et 10 kg. Utilisez impérativement une longe de sécurité qui vous reliera à la ligne.

Sous l’eau – Copyright : VD Freediving

Sécurité et préparation

Plonger seul n’est jamais une option. Avoir un partenaire capable d’intervenir en cas de besoin est une règle d’or. Évitez à tout prix l’hyperventilation : elle diminue le taux de dioxyde de carbone dans le sang et perturbe votre instinct vital de respirer. Bien que cela puisse sembler une bonne idée, sachez que c’est la première cause de syncope. Rappelez-vous que vous n’êtes pas un poisson. Il est inutile de chercher à atteindre des profondeurs extrêmes en un temps record : le plaisir de l’expérience est bien plus précieux que la destination finale. Savourez chaque instant de votre plongée en apprenant à maîtriser tous les détails, plutôt que de vous concentrer uniquement sur les données de votre ordinateur de plongée. Hydratez-vous et soyez honnête avec vous-même. Si vous ressentez de la fatigue, adaptez vos plans et envisagez une plongée moins ambitieuse.

N’hésitez pas à me contacter si vous avez des questions, je me ferai un plaisir de vous aider.

Peux-tu nous parler de ton rôle en tant que coach d’athlètes participant à Vertical Blue ?

Vertical Blue est le Wimbledon de l’apnée, et accueille l’élite mondiale de ce sport. La participation se fait en majorité par invitation.

En 2022, j’ai créé un programme d’entrainement spécialisé pour préparer mes élèves à effectuer des plongées profondes (de 40 mètres à 70 mètres) et et à participer à des compétitions. Ce cours a remporté un vif succès, ce qui m’a valu l’honneur d’être sollicité pour accompagner les athlètes taïwanais sélectionnés lors de la compétition aux Bahamas.

La fonction de coach est très exigeante, nécessitant une gestion méticuleuse de tous les aspects logistiques pour que les athlètes puissent se focaliser entièrement sur leur préparation et leur performance. Cela englobe une panoplie de tâches diverses, allant de cuistot à chauffeur, en passant par la gestion des documents administratifs tels que les visas et les billets d’avion, sans oublier d’assurer la sécurité dans l’eau pendant les entraînements. Bien sûr, le rôle de stratège et de pilier émotionnel pendant la compétition est tout aussi crucial.

Dans l’eau, lors des plongées de compétition, le coach est là, prêt à intervenir, spécialement pendant le protocole de surface. C’est une phase critique où l’athlète doit accomplir une série d’actions dans les 15 secondes suivant son retour pour valider sa plongée. Dans ces moments, où certains flirtent avec les limites de leurs capacités, au bord de la syncope, ma voix retentit, les poussant, les guidant pour réussir ce protocole essentiel. Vous pouvez d’ailleurs observer cet aspect du rôle de coach dans la vidéo suivante.

Vertical Blue 2023 黃文祥 CNF77 and Anthony’s coaching

Ce rôle va aussi bien au-delà des responsabilités immédiates. Il est essentiel de maîtriser chacune des règles qui régissent l’événement auxquels les athlètes participent. Il faut être toujours prêt à contester les décisions erronées des juges. Même si cela est rare, ça peut arriver. Dans ce milieu, je me suis senti comme un poisson dans l’eau. Bien que j’aie participé à des compétitions en tant que coach, juge ou safety, je n’avais jamais été compétiteur lors d’événements de cette envergure. J’ai excellé dans ce rôle de coach de haut niveau, recevant les félicitations des plus grands champions ainsi que le titre non-officiel de ‘coach de l’année’.

Comment te prépares-tu avec ton équipe pour une compétition aussi prestigieuse que Vertical Blue ?

La préparation mentale, à ce stade, revêt une importance peut-être même supérieure à l’aspect physique. Les athlètes sélectionnés sont déjà en pointe en termes de condition physique, mais une compétition de cette envergure, où chaque détail compte, peut générer une tension énorme. Imaginez : neuf jours où chaque mouvement, chaque respiration sont scrutés, dans le cœur battant de l’univers de l’apnée, sous les projecteurs. La pression qui pèse sur les épaules des athlètes est véritablement titanesque.

Les athlètes sélectionnés sont déjà en pointe en termes de condition physique, mais une compétition de cette envergure, où chaque détail compte, peut générer une tension énorme

Anthony

Afin d’aiguiser davantage nos compétences, nous avons pris le cap du Roatan, au Honduras, pour une période d’entraînement intensif d’un mois. Cette dernière ligne droite dans la préparation est une danse délicate, celle de repousser les limites en profondeur et de gagner ainsi en confiance en soi tout en esquivant les écueils d’une descente trop profonde et les blessures. Cette pratique extrême de l’apnée n’est pas sans mettre une pression considérable sur le système nerveux. Il faut savoir lever le pied, le repos physique et la récupération mentale étant des éléments essentiel à quelques semaine d une compétition de ce niveau. Il faut trouver l’équilibre entre tout ça.

Chaque détail compte, et doit être répété jusqu’à ce qu’il devienne une seconde nature. Dans ce type de compétition, la réussite d’une plongée, reconnue et validée par les juges, requiert entre autre l’accomplissement d’un protocole strict à la surface. Ce protocole demande à l’athlète, dès que ses voies respiratoires émergent de l’eau, de retirer son pince-nez, de regarder le juge, de faire le signe « OK » et de déclarer « I am OK », tout cela en moins de 15 secondes, suivies de 15 secondes supplémentaires durant lesquelles il doit éviter toute perte de conscience. Après une plongée de trois minutes où chaque molécule d’oxygène compte, c’est loin d’être une mince affaire. Alors on ne  laisse rien au hasard.

Quarante jours avant la compétition, nous nous sommes dirigés vers les Bahamas pour nous acclimater. Il s’agissait de nous familiariser avec le lieu, la nourriture locale, l’ambiance, et bien sûr, la zone de plongée. Et quel lieu exceptionnel ! Un trou bleu d’une profondeur de 200 mètres, à l’abri des courants et des vagues, encadré de plages de sable blanc immaculé. C’est tout simplement irréel.

Chaque élément susceptible de réduire le stress précompétition est minutieusement considéré. Ainsi, j’établis des checklists pour chaque athlète afin d’assurer qu’il n’oublie rien le jour venu. Tout est vérifié à deux reprises. Je suis au courant du temps exact nécessaire pour notre trajet, je m’assure de l’état de la voiture, des pneus, du niveau d’huile, car la dernière chose que nous voudrions serait une voiture qui refuse de démarrer au moment crucial, et ainsi de suite.

Nous avons vécu ensemble, formant une famille unie et soudée, travaillant sérieusement mais partageant aussi des moments de détente, explorant les environs, absorbant un peu de la culture locale.

La compétition s’est merveilleusement bien déroulée. Chaque athlète taïwanais a montré sa force. Ce sont de vrais champions, l’ayant prouvé dans leur gestion de la pression et dans la réalisation de plongées à couper le souffle. Ils ont tous brillé et nous ont tous remplis de fierté.

Qu’est-ce qui, selon toi, différencie un bon apnéiste d’un grand apnéiste ?

Le grand apnéiste comprend que la véritable quête n’est pas simplement de plonger toujours plus profond. Le voyage compte bien plus que le but lui-même. La profondeur, le nombre sur l’ordinateur de plongée, est le résultat de la discipline, de l’entraînement, mais aussi de l’expérimentation. Ce qui fonctionne pour l’un, ne fonctionne pas forcément pour un autre. Il est nécessaire d’apprendre à se connaître à tous les niveaux. Cela inclut non seulement son rapport à la profondeur et sa préparation physique, mais aussi la nutrition et l’entraînement mental.

Le voyage compte bien plus que le but lui-même

Anthony

C’est un voyage entre deux respirations, chaque plongée devient une œuvre d’art, une symphonie de mouvements et d’émotions, une méditation profonde sur la nature de la vie et de l’existence. Un bon apnéiste plonge, mais un grand apnéiste explore, trouvant dans chaque descente une nouvelle opportunité de croissance, de découverte et d’émerveillement.

Quels sont les plans futurs pour ton école ? Envisages-tu des expansions ou des partenariats ?

Nous sommes désormais quatre instructeurs et envisageons d’agrandir encore notre petite entreprise. Je passe beaucoup de temps à écrire et, après avoir publié mon premier livre sur l’entraînement à sec en 2022, un nouveau est en préparation et sera imprimé en anglais et en chinois courant 2024.

Toute cette connaissance que j’acquiers en étudiant pour l’écriture de ces livres, toutes mes expérimentations personnelles pour ma propre préparation et entraînement, se traduisent dans ma façon d’enseigner. J’ai créé le « meilleur cours Master de Taïwan », et nous étendons ce concept aux autres cours.

Davantage de formations pour instructeurs sont également à l’ordre du jour, afin de donner à mes élèves la chance que j’ai eue il y a des années de changer de vie. Nous développons une plateforme en ligne où ils pourront trouver, en exclusivité, des cours sous forme de vidéos mais aussi du contenu exclusif.

Groupe de diplômés – Copyright : VD Freediving

Nous lançons notre première compétition et prévoyons d’organiser des voyages pour explorer les merveilles sous-marines à Taïwan, mais aussi à l’étranger. Ainsi nous avons établi un partenariat avec « Wild Ocean Taiwan ». C’est une ONG qui promeut l’éducation à travers la réalisation de films sur l’Océan, la sensibilisation sur l’impact de l’activité humaine sur nore belle boule bleue et l’organisation du nettoyage des côtes taïwanaises.

En novembre 2023, nous coorganisons le plus gros événement de l’année. Ça s’appelle « Deep Week », c’est une semaine d’entraînement où il y aura les 4 plus grands champions taïwanais du moment aux côtés du recordman du monde et légende Alexey Molchanovs, et d’Adam Stern, le champion australien. Plus de 100 apnéistes s’entraîneront ensemble à Xiaoliuqiu.

Nous développons une branche de notre école à Taipei et envisageons également d’étendre nos activités à d’autres villes. Un nouveau cours est en préparation, intitulé « À la découverte du Grand Bleu », mais c’est une surprise, j’en ai déjà trop dit.

L’apnée est un sujet vaste qui englobe l’entraînement physique, la relaxation, la préparation mentale, mais aussi la nutrition et bien plus encore. Nous sommes ouverts à tout partenariat qui s’inscrit dans notre démarche et philosophie.

Si vous lisez ces lignes et avez un projet qui pourrait s’inscrire dans cette vision, n’hésitez pas une seconde à nous contacter.

Enfin mis à part sous l’eau quels sont les 3 lieux où on a le plus de chance de te croiser à Taïwan ?

L’apnée, c’est toute ma vie. Quand je ne suis pas sous l’eau, je flirte avec sa surface. Aux premières lueurs matinales, vous pourriez bien me croiser à Dafu, ce petit port de Xiaoliuqiu, en pleine nage. Sinon, je suis sans doute sur le toit de mon école, en train de soulever de la fonte ou peut-être en train de courir, suivant les contours de l’île. Non loin de Secret Beach, qui n’a de secret que le nom, vous pourriez me dénicher en plein exercice de respiration ou simplement à contempler une vague en chassant une autre.

Si par hasard je disparais, il est probable que je sois blotti dans l’un des petits cafés alentour, penché sur un nouveau livre, en train d’élaborer un cours ou de donner vie à un projet inédit. Et si, malgré vos efforts, vous ne parvenez pas à me localiser, c’est sans doute parce que j’ai opté pour la solitude, loin des regards, rêvant de nouveaux horizons et de ma prochaine aventure.

Prendre contact avec Anthony :

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À propos de l'auteur

  • Luc

    Fondateur du webzine francophone Insidetaiwan.net Consultant en développement international 🚀des entreprises en Asie du Sud-Est #Taiwan #Tourisme #Société #Culture #Business #Histoire #Foodie

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