La librairie le Pigeonnier : un îlot de francophonie en plein coeur de Taipei

Le Pigeonnier, librairie fondée à Taipei, est un lieu incontournable pour la culture, les événements et la communauté française
Sophie Hong et l’équipe du Pigeonnier - Copyright : Le Pigeonnier

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Fondée en 1999 par Françoise Zylberberg, la librairie Le Pigeonnier est devenue un lieu incontournable pour les amoureux de la langue française à Taïwan. Ce lieu unique, en plein cœur de Taipei, propose plus de 15 000 titres et organise régulièrement des événements culturels. Depuis sa création, Le Pigeonnier a joué un rôle clé dans les échanges culturels entre Taïwan et la France. Partez à la rencontre de ce lieu incontournable avec Shannon et Gaëlle.

Pouvez-vous nous raconter l’histoire de la librairie Le Pigeonnier ?

Notre fondatrice Françoise Zylberberg, dite Zyl, était professeur de français. Dans les années 1970, elle donnait des cours de français à l’Université Paris VII pour les réfugiés des persécutions au Cambodge et au Laos, et ces cours ont rencontré un succès prodigieux. En 1979, Paris VII a délégué Zyl et Jacques Picoux pour ouvrir une unité FLE à l’Université nationale de Taïwan (NTU). Leur mission était prévue pour 2 ans, mais ils ont fini par y rester, tellement ils appréciaient la vie à Taïwan.

Zyl était une personne pleine d’idées et très active. Dans les années 1980, elle a lancé « Salut les copains ! », un programme télévisé d’enseignement du français. L’émission, pleine d’imagination, de talent et de pédagogie, animée avec Jacques Picoux et Maria Chiu, reste dans la mémoire des apprenants-téléspectateurs de l’époque partout à Taïwan.

Zyl – Copyright : Le Pigeonnier

Zyl a constaté que ses étudiants peinaient à trouver des livres en français, alors elle a fondé Le Pigeonnier, l’unique librairie francophone généraliste à Taïwan, en 1999.

Le rôle éminent que Zyl a joué dans les échanges culturels franco-taiwanais lui vaudra d’être distinguée de l’ordre des Arts et des Lettres par le Ministère de la Culture en 2010. Elle est décédée cette même année à Taipei, et sa compagne Sophie Hong, styliste renommée et soutien constant dès le début de la librairie, a pris le relais. L’aventure de la librairie continue, en excellente compagnie avec l’atelier de Sophie Hong à Taipei et la boutique Sophie Hong au Palais-Royal, à Paris.

Sophie Hong (à droite) lors de sa cérémonie de remise de décorations – Copyright : Le Pigeonnier

Pouvez-vous nous parler de ses débuts ?

Ouvrir une librairie française dans un pays non francophone, ce n’est pas facile. Pour faire connaître le lieu à tous ceux qui ont un lien avec le français, Zyl s’efforçait d’organiser des animations tout au long de l’année : ateliers, rencontres, et festivals tels que Lire en fête. Chaque année, la librairie s’engage aussi avec énergie dans l’organisation du pavillon français au Salon du livre de Taipei.

Parallèlement, Zyl s’est consacrée à l’édition. Elle a invité le bédéiste Golo à Taïwan, ce qui a mené à la publication des deux tomes de Made in Taïwan, BD bilingue français-chinois. Elle a également organisé des tables rondes avec des intellectuels franco-taïwanais, dont les discussions ont été publiées sous forme de livres, dans la collection Cinabre, toujours disponible dans le catalogue de la librairie. Grâce à sa passion et à ses efforts, Le Pigeonnier est devenu une vitrine de l’édition et de la culture française.

Lionel Poilâne, Danièle Mazet-Delpeuch et Hong Chen (5e, 4e et 1er à d.) invités de “Lire en fête” en 2002 – Copyright : Le Pigeonnier

Qu’est-ce qui distingue Le Pigeonnier des autres librairies à Taipei ? Quelles sont ses particularités ?

La principale distinction est que nous sommes une librairie spécialisée en français, tenue par une équipe francophone. Nos événements se déroulent pour la plupart en français, ou bilingue français-mandarin ; ceux qui sont en mandarin ont toujours un lien avec le monde francophone. La mission qui nous tient à cœur est de promouvoir les échanges culturels entre Taïwan et la France.

Quels types de livres peut-on trouver dans votre librairie ? Existe-il une sélection particulière que vous proposez à vos clients ?

La librairie comporte aujourd’hui environ 15 000 titres. Même si nous sommes conscients que certains livres se vendent mieux que d’autres, nous insistons sur notre rôle de librairie « généraliste » et voulons garder une place pour les sciences humaines, les beaux livres ou la bande dessinée adulte, par exemple. Pour les références qui ne sont pas en stock, nous proposons un système de précommande.

Notre sélection est liée aux actualités éditoriales et culturelles françaises et taïwanaises (cinéma, expositions, nouvelle traduction d’une œuvre française à Taïwan…) mais aussi aux événements qui nous tiennent à cœur. Par exemple, au moment du débat autour de la légalisation du mariage homosexuel à Taïwan, nous avons mis en avant des livres en lien avec le sujet, en littérature, en sciences sociales, en BD ou en jeunesse.

Organisez-vous des événements ou des manifestations culturelles au sein de la librairie ? Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?

Depuis sa création, Le Pigeonnier s’est voulu comme un espace de rencontres entre les cultures francophone et sinophone. De nombreuses conférences sont régulièrement organisées dans ses murs, en étroite collaboration avec, entre autres, le Bureau français de Taipei. Quand il y a un auteur francophone de passage à Taïwan, nous essayons de l’inviter à la librairie. Notre responsable Sophie Hong, qui connaît des artistes français et taïwanais, les invite à animer des événements artistiques, des concerts, etc.

Nous répondons également aux initiatives lancées par le Ministère de la Culture en France (les Nuits de la lecture), par l’Alliance française à Taïwan (le mois de la Francophonie), par l’Association taïwanaise des traducteurs de français (série de conférences l’« Art de traduire »). Chaque édition de la Nuit de la lecture est inoubliable, par exemple en 2022, nos lecteurs ont été invités à « lire des BD à voix haute », les choix de livres et la créativité de chacun (son, musique, lumière…) ont fait de cette expérience un grand succès.

Arnaud Lechat à la Nuit de la lecture en 2022 “Lire des BD à voix haute” – Copyright : Le Pigeonnier

Qui constitue la clientèle principale de la librairie Le Pigeonnier ? Est-elle majoritairement francophone, expatriée, ou aussi composée de Taïwanais ?

La communauté française à Taïwan étant relativement petite, une partie importante de nos clients sont des taïwanais, francophones et francophiles. Certains ont fait des études en France ou souhaitent en faire dans le futur, certains ont un niveau de français très élevé quand d’autres commencent tout juste à apprendre cette langue. Par exemple, nous rencontrons souvent des Taïwanais qui ne lisent pas forcément le français mais qui apprécient beaucoup des albums jeunesse illustrés.

Quels sont les auteurs français qui plaisent le plus aux lecteurs taïwanais ? Y a-t-il des tendances particulières ?

Les œuvres qui deviennent incontournables sont les plus demandées, comme Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry ou L’Étranger d’Albert Camus, souvent recommandées par les professeurs de français.

Globalement, les plumes qui plaisent le plus sont des auteur(e)s déjà beaucoup traduit(e)s à Taïwan, traitant des sujets qui inspirent les lecteurs taïwanais, ou qui ont un style d’écriture pas trop difficile à suivre. Beaucoup de lecteurs taïwanais cherchent Milan Kundera, Amélie Nothomb ou bien Annie Ernaux, prix Nobel de littérature.

Comment percevez-vous l’intérêt des Taïwanais pour la langue et la culture françaises ? Avez-vous constaté une évolution au fil des années ?

Nous avons rencontré plus de parents taïwanais qu’avant qui envoient leurs enfants apprendre le français ou souhaitent que leurs enfants soient exposés à une troisième langue dès le plus jeune âge. D’un autre côté, avec davantage d’accords de coopération académique signés entre les deux pays, les étudiants qui ont séjourné en France deviennent plus nombreux. Avant, c’étaient majoritairement ceux qui voulaient étudier le FLE, la philosophie, l’art ou la gastronomie.

Aujourd’hui il y en a toujours, mais des jeunes chercheurs d’autres domaines, scientifiques ou technologiques par exemple, ont augmenté, grâce aux efforts de longue haleine des établissements français et taïwanais. Malheureusement, le nombre d’étudiants inscrits au département de français à l’université a diminué ; une des raisons principales est bien sûr la baisse démographique, mais cela reflète peut-être une tendance chez les jeunes apprenants : le français devient un outil complémentaire et non une profession.

Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontée en tant que librairie ?

Un défi majeur auquel nous, comme le reste de la société taïwanaise, devons faire face, c’est la démographie. Cette diminution du nombre d’enfants entraîne une baisse du nombre d’étudiants potentiels de français. Ce phénomène est l’un des facteurs expliquant la diminution des commandes de manuels de FLE d’année en année.

L’autre bouleversement de la société vient de la diminution de la lecture en général, mais surtout sur le support traditionnel du livre, le papier. Il est incontestable aujourd’hui que les consommateurs utilisent énormément les appareils modernes comme le portable ou la tablette, pour jouer ou communiquer, mais aussi pour lire. C’est pourquoi nous nous efforçons de raviver l’intérêt des lecteurs en communiquant énormément autour du livre et en organisant de nombreux événements.

Enfin, la gestion des stocks constitue aussi un défi, car nous sommes une librairie éloignée de la France, et les retours sont assez coûteux à faire. L’accumulation du stock au fil du temps nous pose problème. Pour essayer d’y remédier, nous organisons fin mars une bouquinerie depuis quelques années, dans le cadre du mois de la francophonie, au parc Yitong. Cela nous permet de solder le stock, et nous invitons également les francophones à venir vendre leurs livres d’occasion.

La bouquinerie “Sautons en bouquinant” au parc Yitong – Copyright : Le Pigeonnier

Avez-vous des collaborations avec d’autres institutions culturelles françaises ou taïwanaises ? Si oui, pouvez-vous nous en parler ?

Bien sûr, nous sommes en collaboration avec le Bureau français de Taipei (BFT), qui fait venir des auteurs, des chercheurs et des artistes à travers divers projets, mais aussi avec l’Alliance française, le Centre français d’études chinoises (CEFC), la section française de l’école européenne et le Lycée français de Taipei (LIFT). Nous sommes membre de l’Association internationale des libraires francophones (AILF) et échangeons régulièrement avec nos consoeurs et confrères de la zone Asie-Océanie sur les enjeux communs et sur nos pratiques. Nous sommes présents chaque année au salon du livre de Taipei, où nous collaborons avec le Bureau international de l’édition française (BIEF) et le BFT pour organiser les ventes, les conférences et les dédicaces des auteurs invités.

Sophie Hong au Festival de la Francophonie, avec notamment la président de l’AILF, Isabelle Lemarchand (1ère à g.) – Copyright : Le Pigeonnier

Quelle est la place des œuvres taïwanaises traduites en français au sein de votre librairie ?

Le rayon Taïwan est un des coins préférés de nos clients francophones : que ce soient des nouveaux expatriés, des touristes de passage ou des parlementaires en visite officielle, nous leur montrons cet emplacement avec fierté. On y trouve des œuvres traduites en français (roman, poésie, BD…), ainsi que des ouvrages traitant d’histoire, d’actualité, ou encore de la pensée chinoise, servant de fenêtre pour mieux connaître Taïwan à travers une langue dans laquelle les lecteurs se sentent à l’aise. Nous gardons ainsi un œil attentif aux nouveautés et nous organisons souvent des événements sur cette thématique. En conséquence, nous pouvons vous confier un « avantage » imprévu de travailler dans une librairie française à Taïwan : nous lisons plus de littérature taïwanaise qu’avant, à force de conseiller les clients !

Quels sont vos projets futurs pour la librairie Le Pigeonnier ?

En collaboration avec Dala Publishing, nous organisons un festival du roman graphique à Huashan Creative Park, à Taipei, les 21 et 22 décembre 2024. Nous inviterons Golo, bédéiste français et ami de longue date du Pigeonnier, et d’autres bédéistes taïwanais et internationaux. Vous y trouverez des stands tenus par des libraires qui aiment les BD, et bien sûr des conférences et des séances de dédicaces. C’est la première fois que nous montons un tel projet avec Dala, en déposant un dossier de demande d’aide auprès du ministère de la Culture de Taïwan. Ce sera une fête de fin d’année à ne pas manquer !

D’autre part, nous aimerions organiser à nouveau des clubs de lecture l’année prochaine, constamment réclamés par nos lecteurs habituels.

Comment choisissez-vous les livres et les auteurs que vous proposez dans votre librairie ?

Nous suivons de près l’actualité du monde du livre et recevons régulièrement les catalogues des éditeurs, par mail ou par courrier. Notre responsable Sophie Hong se rend au salon du livre de Paris et nous apporte des nouvelles. Nous comptons aussi sur les critiques et les commentaires en ligne pour mieux connaître la réception d’un livre, cela nous aide à évaluer la commande.

Le plus important selon nous, c’est de bien connaître la clientèle locale. Nous sommes conscients que les best-sellers en France ne rencontrent pas forcément le même succès ici, et c’est pour cela que nous nous informons des actualités éditoriales taïwanaises et discutons souvent avec nos clients. Par ailleurs, nous avons une « liste de commande »  complétée par toute l’équipe : n’ayant pas les mêmes centres d’intérêts, nous y ajoutons les références que nous souhaitons faire venir à la librairie.

Quel rôle joue la librairie Le Pigeonnier dans la promotion de la culture française à Taipei ?

A Taipei, presque tous les apprenants du français ont visité Le Pigeonnier. Nous sommes situés dans le centre-ville et ouverts 7 jours sur 7, ce qui permet aux curieux d’accéder facilement aux publications écrites dans la langue de Molière. En outre, nous mettons en place des tables thématiques et des animations, et l’équipe est toujours prête à conseiller et échanger avec les clients. Nous sommes actifs sur Facebook, où nous comptons à ce jour 50 000 followers, principalement taïwanais.

Pour ceux qui n’habitent pas à Taipei, ils peuvent passer par nos réseaux sociaux et notre site pour s’informer des actualités culturelles et de l’apprentissage de la langue, nous demander des renseignements ou passer commande. Avec 25 ans d’existence, tout ce travail quotidien a porté ses fruits, et Le Pigeonnier est devenu un endroit incontournable pour beaucoup, Français ou Taïwanais.

Comment les lecteurs et la communauté locale peuvent-ils soutenir votre librairie et participer à vos activités ?

Pour participer à nos activités, qui sont pour la plupart gratuites, il suffit de nous envoyer un e-mail. Si vous souhaitez recevoir régulièrement des informations, vous pouvez vous inscrire à notre liste de diffusion ! Venir participer à nos événements et acquérir des livres constitue un grand soutien pour nous. Par ailleurs, nous accueillons des bénévoles pour des ateliers de lecture de contes pour enfants !

Et pour finir, pouvez vous nous faire découvrir 3 auteurs Taïwanais traduits en français mais encore peu connus ?

Nous vous recommandons d’abord les romans et nouvelles de Wu Ming-Yi. Il est l’un des auteurs taïwanais les plus traduits en français. Ses sujets de prédilection sont l’environnement et les autochtones, ainsi que l’histoire et la mémoire collective des Taïwanais.

Ensuite, nous recommandons Chang Kuo-Li, notamment « Le sniper, son wok et son fusil » et « Le sniper, le président et la triade ». Ces deux volumes doivent leur succès international à un style divertissant et plein d’action, et les histoires sont habilement inspirées des affaires géopolitiques de Taïwan.

Enfin, Syaman Rapongan, écrivain autochtone Tao, qui écrit les mythes de son peuple et une littérature de l’océan. A travers ses expériences personnelles et sa formation ethnologique, il décrit en profondeur les douleurs des autochtones à la rencontre de la société taïwanaise (de peuple Han). Vous serez conquis par son écriture, belle et singulière.

Si vous ne savez pas encore quel auteur taïwanais découvrir, nous vous conseillons un recueil de nouvelles « Taipei : Histoires au coin de la rue ». Vous y trouverez sûrement un style qui vous captivera !

Les livres de Wu Ming-Yi, de Chang Kuo-Li et de Syaman Rapongan – Copyright : Le Pigeonnier

Informations Pratiques

  • 🗺️ Localisation Google Maps
  • 📌 Adresse : No. 9, Lane 97, Songjiang Road, Taipei 10486 台北市中山區松江路97巷9號
  • 🚈 Arrêt de Métro : Songjiang Nanjing (Ligne verte et Orange, Sortie 4 ou 5)
  • ⌚ Horaire d’ouverture : Du lundi au vendredi de 9h30 à 19h30 et le weekend de 11h00 à 19h00

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À propos de l'auteur

  • Luc

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