Gwennaël : « La science-fiction (…) se fait la porteuse d’interrogations sur l’identité taïwanaise »

Explorez la science-fiction taïwanaise, ses différences culturelles et les défis de traduction dans cette interview avec Gwennaël Gaffric.
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Insidetaiwan.net a eu la chance d’échanger avec Gwennaël Gaffric, traducteur et amoureux de Science-fiction. Explorez les différences culturelles et les thèmes abordés dans la SF taïwanaise, ainsi que les défis de traduction. Plongez dans une conversation captivante sur l’évolution de la SF taïwanaise et les auteurs méritant une reconnaissance internationale. Une exploration passionnante de la littérature de science-fiction au carrefour des cultures.

Bonjour Gwennaël pourriez vous vous présenter pour nos internautes ?

Je suis né en 1987 dans la région lyonnaise où je vis aussi actuellement.

Je suis enseignant-chercheur de langues et littératures chinoises à l’Université Lyon 3. Et je suis également traducteur littéraire et éditeur de la collection « Taiwan Fiction » (L’Asiathèque). Ca semble un peu schizophrène, mais je ne conçois pas une de ces activités de façon distincte avec une autre.

Quelles sont, selon vous, les différences majeures entre la science-fiction chinoise, hongkongaise et taiwanaise ?

C’est assez complexe de répondre en quelques phrases, d’autant qu’à chaque auteur ou autrice correspond une approche, une esthétique différente.

Je dirais qu’on retrouve peut-être davantage un côté « cyberpunk » et expérimental (d’un point de vue stylistique) dans les littératures hongkongaise et taïwanaise de SF contemporaines, alors que la SF contemporaine chinoise, si elle est de facture plus classique dans son écriture, se révèle peut-être plus diverse dans ses thématiques et ses explorations.

Bien entendu, ces différences s’expliquent autant par des des disparités dans les champs littéraires concernés que par les spécificités socio-historique des sociétés en question.

Quels sont les thèmes ou les concepts les plus fréquemment explorés dans la science-fiction taiwanaise ?

La SF taïwanaise de ces dernières années interroge beaucoup le rapport de la littérature au temps, à la mémoire, au passé, au présent et à l’avenir de Taïwan. Elle se fait aussi la porteuse d’interrogations sur l’identité taïwanaise et son rapport au monde.

La SF taïwanaise de ces dernières années interroge beaucoup le rapport de la littérature au temps, à la mémoire, au passé, au présent et à l’avenir de Taïwan

Gwennaël Gaffric

Quelle est la plus grande difficulté à traduire de la science-fiction du mandarin vers le français ?

L’une des difficultés (mais c’est aussi ce qu’il y a d’amusant) dans la traduction de la science-fiction, c’est que celle-ci produit régulièrement des imaginaires, des vocabulaires jusqu’ici inédits, qui exigent des traducteurs d’inventer de nouveaux mots, de créer de nouveaux imaginaires en français.

Il y a aussi une exigence particulière à avoir pour être scientifiquement cohérent et précis, lorsque c’est aussi le cas en langue originale.

Pouvez-vous citer quelques œuvres de science-fiction taiwanaise que vous considérez comme incontournables pour une « bibliothèque idéale » ?

Pour parler de littérature traduite en français, j’aime bien citer les romans de trois auteurs que j’aime beaucoup et qui tous écrit des récits de science-fiction, bien que très différents : Kao Yi-feng et sa Guerre des bulles (Mirobole), Wu Ming-yi et son Homme aux yeux à facettes (Stock, dont on trouve une belle variation dans une nouvelle parue dans le recueil Formosana : histoires de démocratie à Taïwan, L’Asiathèque) et Chi Ta-wei et son Membrane (L’Asiathèque).

Comment les différences culturelles entre la Chine, Hong Kong et Taïwan se reflètent-elles dans leurs œuvres de science-fiction respectives ?

Il y a bien sûr un rapport singulier à l’histoire, ainsi qu’une liberté de ton que l’on trouve plus facilement dans la SF de Taïwan, par exemple, pour des raisons politiques.

La science-fiction est une littérature où s’expriment les angoisses et les désirs d’une époque, notamment quand elle se projette dans l’avenir et, nécessairement, les peurs et les fantasmes de la population de Hong Kong sont bien différents de celle de Taïwan ou de la Chine.

Comment la science-fiction taiwanaise s’est-elle développée au fil du temps ? Y a-t-il eu des moments clés ou des œuvres qui ont influencé son évolution ?

C’est un mouvement assez récent, contrairement à la science-fiction en Chine qui a début à la fin du XIXe siècle.

Quelques auteurs comment Chang Hsi-kuo, Huang Fan ou l’écrivaine Ping Lu s’y sont essayés dans les années 1980, mais c’est vraiment récemment que la science-fiction à Taïwan a pris un (encore timide) essor à Taïwan. Ce qui est intéressant, c’est que ce sont beaucoup d’écrivains considérés comme des écrivains comme des auteurs de littérature blanche qui en sont les plus grands ambassadeurs, comme Lo Yi-chin, Wu Ming-yi, Kao Yi-feng ou des plus jeunes auteurs comme Huang Chong-kai ou Chu Yu-hsun.

Mais on oublie parfois de citer le nom de Lin Yao-teh, poète important des années 1980-1990, précurseur de la poésie post-moderne et de la littérature urbaine qui, à l’aube du nouveau millénaire, a été le premier auteur taïwanais moderne à prendre la littérature de science-fiction au sérieux, en la faisant porter ses angoisses et ses incertitudes de cette période charnière de l’histoire de Taïwan.

Quel est le processus pour traduire les termes techniques ou les concepts futuristes uniques trouvés dans la science-fiction ?

Il faut essayer de se mettre dans la peau de l’écrivain-e et de se demander à partir de quel présent il-elle se situe, pour construire un futurisme qui corresponde (paradoxalement) au présent de l’auteur. C’est un exercice certes acrobatique, mais très intéressant. L’idée est de jouer aussi avec l’univers littéraire de science-fiction mondial : beaucoup de néologismes ont par exemple été déjà trouvés, et il n’est pas interdit de piocher dans cette immense encyclopédie.

Construire un futurisme qui corresponde (paradoxalement) au présent de l’auteur

Gwennaël Gaffric

Pour les termes plus techniques, je n’hésite jamais à faire appel à des gens plus savants que moi dans certains domaines (astrophysique, médecine, informatique…) pour ne pas écrire de bêtises et ainsi desservir le texte.

Comment abordez-vous la traduction des nuances culturelles présentes dans la science-fiction taiwanaise ?

Je crois que chaque texte à traduire dicte ses propres stratégies, mais il est vrai qu’il est important de connaître le contexte dans lequel se produit une oeuvre. Je pense qu’il faut être familier de l’histoire de Taïwan pour traduire sa littérature, même si celle-ci ne concerne pas directement l’histoire. Quelque chose que je rappelle aussi à mes étudiant-es dans mes cours de traduction : plus on lit, plus on arrive à percevoir la spécificité d’un auteur, d’une oeuvre. Et c’est aussi en lisant de la SF d’autres pays que l’on arrive à percevoir ce qui fait la spécificité de celle de Taïwan.

Comment les traditions et croyances locales de Taïwan sont-elles incorporées dans leur science-fiction ?

Celles-ci sont assez peu présentes, la SF taïwanaise d’aujourd’hui prenant davantage racine dans sa condition moderne.

Mais c’est une trajectoire qu’elle pourra prendre dans l’avenir, comme c’est le cas en Chine, où certains auteurs comme Chen Qiufan ou Xia Jia que j’ai eu la chance de traduire, essaient de réfléchir aux liens entre IA et religion, par exemple.

Je pense qu’un écrivain comme Kao Yi-feng travaille aussi cette matière dans ses récits les plus récents. On peut aussi – pourquoi pas – s’attendre à une science-fiction produite par des auteurs autochtones/aborigènes dans les prochaines années !

Quels sont les auteurs de science-fiction taiwanaise qui, selon vous, méritent plus de reconnaissance à l’échelle internationale ?

Des romans comme 2069, de Kao Yi-feng, ou La Nouvelle île au trésor de Huang Chong-kai sont des romans très récents qui proposent des visions particulièrement originales de l’avenir de Taïwan, et qui mériteraient à mon sens d’être traduits.

Pouvez-vous partager une expérience particulièrement intéressante ou difficile que vous avez eue en traduisant une œuvre de science-fiction du mandarin vers le français ?

En matière de traduction de SF, j’ai surtout traduit des auteurs de SF chinois. Pour prendre un exemple récent, la traduction du roman chinois l’Île de Silicium a été particulièrement stimulante, car elle nécessitait à la fois de se plonger dans l’écriture d’un univers inventé, mais aussi très marqué géographiquement et culturellement, car situé dans une île parlant majoritairement la langue teochew, que j’ai dû intégrer dans le roman, pour que l’on puisse sentir ces différences.

Et pour finir, quand vous venez sur Taïwan, quels sont les trois lieux où nous avons le plus de chance de vous croiser ?

Cela dépend, mais je reviens souvent dans l’université où j’ai passé plusieurs années de ma vie d’étudiant : celle de Tsinghua, à Hsinchu.

On peut aussi me croiser à Tainan, une ville que j’aime beaucoup et dans laquelle je me rends souvent (surtout au Musée national de la littérature et ses belles expositions !)

Ou bien c’est que je suis en vadrouille dans des petits villages (部落) chez des copines et des copains autochtones (surtout Atayal, au centre et Paiwan, dans l’Est) !

Et si vous aimez la littérature taïwanaise, n’hésitez pas à découvrir l’excellent blog, Lettres de Taïwan.

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À propos de l'auteur

  • Luc

    Fondateur du webzine francophone Insidetaiwan.net Consultant en développement international 🚀des entreprises en Asie du Sud-Est #Taiwan #Tourisme #Société #Culture #Business #Histoire #Foodie

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