De Taïwan à l’Asie du Sud-Est : la théorie « Out of Taiwan »

Découvrez la théorie "Out of Taiwan" : migrations austronésiennes, preuves archéologiques et génétiques en constante évolution
Habitants des îles proches de Taïwan - Copyright : Kompass

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En 1984, Robert Blust chercheur affilié à l’Université d’Hawaï, a rendu public un article dans lequel il avançait une hypothèse audacieuse désignée sous le nom « Out of Taiwan ». Selon cette dernière, les populations autochtones de Taïwan auraient essaimé depuis ce territoire pour entreprendre la colonisation de vastes étendues en Asie du Sud-Est.

Ce domaine s’étire d’un bout à l’autre d’une région considérable, allant de Madagascar jusqu’aux Philippines, en passant par la Malaisie, s’étendant aux îles de la Polynésie, incluant l’Île de Pâques, et s’élargissant même jusqu’aux populations aborigènes de Nouvelle-Zélande. Il est toutefois remarquable de relever que les aborigènes d’Australie sont exclus de cette dispersion.

Cette théorie, se présentait comme révolutionnaire pour l’époque et continue de susciter un débat scientifique soutenu. Bien que sa pertinence se trouve solidement appuyée par des données linguistiques et archéologiques, elle reçoit un accueil plus modéré dans d’autres sphères de la recherche.

Aux origines de l’austronésien : quête de la langue ancestrale

Au cours du XIXe siècle, l’analyse comparative des vocabulaires de diverses langues, et plus précisément ceux liés à l’environnement naturel, a permis aux linguistes d’extrapoler un héritage commun. Cette démarche a abouti à la reconstitution hypothétique d’une langue mère pour l’ensemble des langues indo-européennes, parlées par près de 46 % de la population mondiale : la langue proto-indo-européenne.

La mise en lumière de la langue proto-indo-européenne a enflammé l’imagination du monde intellectuel, soulevant l’enthousiasme à l’idée que les langues des peuples d’Europe, du Moyen-Orient et de l’Inde puissent toutes converger vers une origine linguistique unique.

Forts de ce premier succès, les chercheurs se sont ensuite interrogés sur l’applicabilité de ces mêmes méthodes à l’étude des langues austronésiennes. Cette famille linguistique, s’étendant depuis la péninsule malaise jusqu’à Madagascar, Java et les Philippines, représente l’une des deux plus grandes diversités linguistiques mondiales, englobant environ 20 % des langues de la planète. La première théorie substantielle sur le sujet fut formulée par le linguiste néerlandais Hendrik Kern en 1889. Après avoir scruté les langues austronésiennes, il a émis trois suppositions concernant leur langue ancestrale, qu’il nomma « proto-austronésien ».

D’abord, il observa la multiplicité des appellations pour la « canne à sucre », comme « tebu » en malais et « dovu » en fidjien, et pour d’autres denrées telles que la noix de coco, la banane, le bambou et le taro, ce qui l’orienta vers une origine tropicale ou proche de celle-ci pour la langue. Ensuite, la répartition des termes connexes pour le « riz » l’a porté à postuler une origine continentale asiatique pour la langue. Enfin, l’examen des termes liés à la faune marine l’a mené à avancer que la patrie proto-austronésienne se situait à proximité de l’océan.

Tenant compte de ces hypothèses, Kern a recherché des langues susceptibles de partager une parenté avec ce langage ancestral et a remarqué des mots communs entre le vietnamien et le cambodgien, conduisant à supposer que la région indo-chinoise pouvait être le berceau de la langue proto-austronésienne. Cette théorie a prédominé pendant presque un siècle dans le champ des études linguistiques.

L’avancée de Blust et la réorganisation des langues austronésiennes

Carte de l’expansion – Copyright : Wiki Commons

Le travail de Blust constitue une percée majeure dans la compréhension des langues austronésiennes, réparties en 10 sous-groupes distincts. Par cette classification, il a révélé que neuf de ces sous-groupes sont exclusivement parlés par les peuples autochtones de Taïwan, tandis que le dixième englobe toutes les autres langues de cette famille linguistique. Cette répartition suggère un mouvement migratoire depuis Taïwan vers d’autres îles, donnant naissance à une diversité de langues formosanes.

Blust, s’appuyant sur une analyse approfondie des données linguistiques, a apporté un éclairage nouveau sur l’origine géographique de ces langues. Il a observé que les langues des sous-groupes formosans et certaines langues philippines comportent des termes désignant des phénomènes climatiques absents de leurs régions, comme le « temps froid » ou le « vent du nord ». Ceci suggère que les Austronésiens étaient familiers avec des climats saisonniers, contrairement à la constance tropicale du Viêt Nam.

De plus, la présence de termes pour « typhon » dans les langues du sud de Taïwan, des Philippines, de certaines régions de Bornéo et des Mariannes pointe vers une zone géographique sujette à ces phénomènes météorologiques, ce qui exclut le Viêt Nam et le Cambodge. Taïwan, par sa position dans la ceinture des typhons du Pacifique, correspond à cette caractéristique.

Enfin, Taïwan est l’épicentre d’une biodiversité spécifique, avec des animaux tels que des chiens, des cerfs, des cochons sauvages, des pangolins, un certain type de singe et un grand ruminant distinct du cerf. Tous ces éléments sont cohérents avec le vocabulaire de la langue proto-austronésienne. Publiée en 2000, la théorie de Blust a supplanté celle de Kern et s’est imposée comme la référence concernant les origines des langues austronésiennes.

Expansion maritime des peuples austronésiens : trajectoire et chronologie

Les peuples autochtones de Taïwan ont entamé leur dispersion en partant de l’île et en procédant par sauts successifs d’île en île. Leur mode de peuplement semble avoir consisté à s’établir sur une nouvelle terre, à s’y développer durant une période, avant d’expédier des groupes à la découverte de la prochaine île.

La maîtrise maritime requise pour traverser les 140 kilomètres séparant le sud-est de la Chine de Taïwan n’est pas moindre que celle nécessaire pour naviguer à travers l’océan Pacifique. Cependant, une fois maîtrisée la technique de propagation de Taïwan vers les Philippines, l’expansion s’est accélérée de manière fulgurante.

Selon les hypothèses actuelles, Taïwan aurait été peuplée initialement en provenance de la Chine, entre 3500 et 3000 av. J.-C., vraisemblablement par des tribus de l’ethnie Daic du sud de la Chine — aujourd’hui une importante minorité ethnique en Chine du Sud, en Thaïlande et au Viêt Nam.

Il aurait fallu à ces peuples environ un millénaire pour raffiner leurs techniques navales avant d’entreprendre la navigation vers les Philippines aux alentours de 2000 av. J.-C. La période millénaire suivante fut consacrée à leur expansion à travers l’archipel philippin. En l’espace de seulement 400 ans, ils ont atteint les îles de l’Indonésie occidentale et du Timor oriental. Puis, en 400 années supplémentaires, ils ont abordé la Polynésie occidentale et les Samoa.

Durant le millénaire suivant, ces sociétés nouvellement établies ont colonisé les diverses îles de la Polynésie, y compris Hawaï vers l’an 900, l’île de Pâques autour de l’an 1000, et ont finalement atteint la Nouvelle-Zélande aux alentours de l’an 1200. Bien que distincts des Aborigènes d’Australie, des indices suggèrent que ces peuples pourraient avoir atteint l’Amérique du Sud par la suite, bien que ces preuves restent encore à confirmer.

Out of Taiwan – The Prehistoric Origins of Polynesians and More

Flou génétique autour des origines austronésiennes

Les techniques linguistiques avancées, malgré leur fondement sur des procédures consensuelles, revêtent un caractère théorique. Avec l’expansion des tests, les chercheurs ont scruté les indices génétiques, ce qui nécessite une mise au point importante : la théorie « Out of Taiwan » ne postule pas que les Taïwanais constituent les ancêtres génétiques directs de l’ensemble des peuples austronésiens. Il serait inexact et simpliste de le prétendre, notamment car plusieurs populations d’Indonésie orientale et de Mélanésie n’en descendent manifestement pas.

Un tournant critique dans le débat sur cette théorie fut l’article de 2008 qui, après analyse des lignées paternelles, a remis en question l’ancêtre commun taïwanais des Austronésiens. L’étude avançait plutôt une descendance mutuelle des peuples Daic du sud de la Chine, avec une évolution parallèle mais séparée. Ils seraient donc des cousins, non des ascendants directs.

Face à ces affirmations, linguistes et généticiens ont contesté la possibilité de conclusions absolues, pointant du doigt les échantillons limités de populations contemporaines sur lesquels se basent ces données. La migration à rebours est une théorie supplémentaire soulevée par les linguistes, suggérant un retour des Formosans vers le continent pour une réinstallation ultérieure.

En 2014, un nouvel article a contredit la théorie de la provenance sud-chinoise, grâce à l‘analyse génétique d’un squelette de 8 000 ans découvert sur Matsu. Cette recherche avance que les aborigènes auraient pénétré Taïwan par le nord, où étaient cultivées des céréales telles que le millet et le riz, avant de migrer vers le sud de l’île, puis de s’élancer vers les Philippines. Il convient d’attendre que les débats académiques se stabilisent dans les années à venir.

Nouvelles perspectives archéologiques

Les analyses génétiques esquissent le tableau d’une ascendance complexe, soulignant les incertitudes et les multiples brassages intervenus au gré des générations entre les populations de Taïwan et d’autres groupes de colons. Face à ces zones d’ombre, il devient impératif de se tourner vers d’autres disciplines pour éclaircir le passé, notamment l’archéologie, dont les découvertes semblent corroborer les hypothèses linguistiques.

Les fouilles archéologiques ont mis au jour des similitudes frappantes entre les artefacts des communautés du sud de Taïwan et ceux des îles des Philippines, ces dernières étant considérées comme l’un des premiers refuges des aborigènes taïwanais après leur départ de l’île mère. À Tainan, où s’étend un parc scientifique, des vestiges de poteries ornées de rouge et des traces de domestication de porcs et de chiens ainsi que de la culture du millet, datant de quelque 5 500 ans, ont été exhumés.

La découverte remarquable d’une pierre particulière, la néphrite ou jade de Taïwan, a ajouté une pièce au puzzle historique. Dans l’archipel des Batanes, situé entre Taïwan et les Philippines, des sites archéologiques ont révélé la présence de cette même poterie rouge et, élément décisif, du jade Fengtian, spécifique à Taïwan.

Ce jade, retrouvé tant dans les îles Batanes que sur d’autres îles telles que Luzon, témoigne de l’aptitude maritime des Taïwanais et de leurs échanges entre les îles, confortant ainsi la théorie « Out of Taiwan ». Ces indices tangibles, forgés par les mains des ancêtres, offrent une fenêtre précieuse sur leur histoire et leurs migrations.


Vous souhaitez en apprendre plus sur la société Taïwanaise et son histoire ? Lisez nos articles « Regards sur Taïwan » qui éclaire l’île sous un nouveau jour.


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À propos de l'auteur

  • Luc

    Fondateur du webzine francophone Insidetaiwan.net Consultant en développement international 🚀des entreprises en Asie du Sud-Est #Taiwan #Tourisme #Société #Culture #Business #Histoire #Foodie

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