Depuis 2020, un nouveau front de la contestation démocratique s’est ouvert en Asie : celui de la Milk Tea Alliance, un mouvement transnational né en ligne entre Hong Kong, Taïwan, la Thaïlande, puis étendu à la Birmanie, la Malaisie, l’Inde ou encore la Mongolie. Ces militants, liés par leur rejet de l’autoritarisme, et leur amour commun du thé au lait, ont depuis transformé les likes et les mèmes en manifestations, chants et mobilisations concrètes.
C’est cette histoire que Jeffrey Wasserstrom, historien renommé des mouvements sociaux en Chine, explore dans son dernier livre The Milk Tea Alliance: Inside Asia’s Struggle against Autocracy and Beijing. Dans un entretien approfondi, il revient sur les dynamiques de solidarité, les choix narratifs de son ouvrage, et la place particulière de Taïwan dans cette géographie contestataire.
Une alliance mouvante et plurielle
Wasserstrom s’intéresse dans son livre à trois cas emblématiques : Hong Kong, la Thaïlande et la Birmanie. Pourquoi ces pays plutôt que d’autres membres revendiqués de l’Alliance ? Pour lui, tout est question de circulation d’inspirations : tactiques issues de Hong Kong en 2019, reprises à Bangkok en 2020, puis en Birmanie en 2021. Des chansons comme Do You Hear the People Sing?, ou des références à Hunger Games, deviennent des symboles transfrontaliers de rébellion.
Mais le choix est aussi personnel. Wasserstrom évoque son lien ancien avec Tun Myint, un activiste birman exilé depuis 1988, et son admiration pour Netiwit Chotiphatphaisal, militant thaïlandais passionné par Hong Kong et figure centrale du livre. Cette construction permet d’offrir un regard incarné, loin de l’analyse géopolitique froide.
Taïwan : un membre à part entière
Initialement absente du trio central, Taïwan bénéficie cependant d’une préface spéciale dans l’édition taïwanaise du livre. Wasserstrom y développe comment les ponts entre Taïwan et Hong Kong, dès 2014, posaient déjà les bases de cette alliance. Il y évoque aussi le rôle du Sunflower Movement, qui a inspiré les Umbrella protests à Hong Kong. Si le livre avait été rédigé plus tôt, Taïwan aurait figuré en bonne place dans le récit.
Dans cette « piste bonus », l’auteur aborde également la Corée du Sud, notamment les mobilisations contre la loi martiale de 2024, vues par certains militants comme une extension spirituelle de la Milk Tea Alliance. Pour Wasserstrom, les frontières de l’alliance sont souples, mouvantes, et guidées par une logique d’attention mutuelle entre activistes.
Héritages, espoirs et continuités
Cinq ans après l’apogée du hashtag #MilkTeaAlliance, que reste-t-il du mouvement ? Pour Wasserstrom, si l’organisation ne s’est pas institutionnalisée, l’esprit de solidarité reste vivace. Il trace un parallèle avec le Printemps arabe ou les mouvements d’Europe de l’Est durant la guerre froide : la transmission des symboles, chants et stratégies crée des réseaux de mémoire et de soutien qui perdurent.
Ce qui frappe l’auteur, c’est la résilience des militants, malgré la répression ou l’exil. Leur capacité à garder espoir, à échanger au-delà des frontières, parfois même à rire ensemble, donne au livre une note d’espoir inattendue. L’avenir de l’alliance est incertain, mais son impact symbolique et émotionnel est bien réel.
Une lecture nécessaire
Avec The Milk Tea Alliance, Jeffrey Wasserstrom livre bien plus qu’une analyse politique : c’est un portrait sensible d’une jeunesse asiatique en résistance, ancrée dans le numérique mais connectée aux luttes du passé. Et si le thé au lait n’était qu’un prétexte à tisser des liens durables ?
Retrouvez l’interview complète sur New Bloom Magazine.
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