La formule « 渡台禁令 » ou « interdiction de traverser vers Taïwan » est souvent utilisée pour décrire la politique migratoire des Qing envers Taïwan au XVIIIᵉ siècle. Ce terme ne correspond pas à un décret unique : il résume divers règlements adoptés pour contrôler l’arrivée des migrants dans l’île. En réalité, le régime mandchou n’a jamais promulgué d’un seul bloc les trois restrictions souvent citées. L’historien japonais Ino Kanori a forgé l’expression en compilant des mesures séparées issues des archives dynastiques. Comprendre ces mesures et leurs effets suppose de replacer la question dans le contexte politique et social de l’époque.
Contexte historique : de la conquête à la stratégie défensive
En 1683, les troupes de Shi Lang conquirent l’île et mirent fin au royaume de Koxinga. L’empereur Kangxi hésita à annexer Taïwan : qualifiant l’île de « morceau de boue » sans valeur stratégique, il envisagea d’en évacuer les habitants. Finalement, convaincu par Shi Lang que cette possession servirait de bouclier pour les provinces côtières, il décida d’incorporer Taïwan au Fujian en 1684. Les Qing adoptèrent cependant une politique défensive : stationnement limité de soldats, administration minimale et mesures destinées à empêcher l’île de devenir un foyer de rébellion ou un refuge pour les pirates. La mer était surveillée et les ports officiels réduits pour mieux contrôler les flux migratoires.
Les trois restrictions : contenu des mesures
Les interdictions évoquées comme un « triptyque » sont en fait trois règles dispersées dans différentes ordonnances. Elles visaient à filtrer les candidats au départ et à limiter l’implantation durable de migrants :
- Autorisation obligatoire : toute personne souhaitant se rendre à Taïwan devait obtenir un permis délivré par les autorités locales, contrôlé à Xiamen puis à Tainan. Les passeurs clandestins et leurs clients étaient passibles de fortes peines.
- Interdiction de voyager en famille : les migrants n’avaient pas le droit d’emmener leurs femmes et enfants. Ceux qui étaient déjà installés ne pouvaient pas faire venir leurs proches. L’objectif était d’éviter qu’ils ne prennent racine et de décourager une colonisation massive. Cette clause fut toutefois assouplie à plusieurs reprises : en 1732, les Qing autorisèrent l’arrivée des épouses et des enfants, puis restreignirent à nouveau cette liberté avant de la rétablir partiellement dans les années 1740.
- Exclusion de certaines régions : les habitants des districts de Chaozhou et Huizhou (actuel Guangdong) furent temporairement interdits de traverser, car ces zones étaient considérées comme des foyers de piraterie. Cette mesure fut rapidement abrogée et n’eut qu’un effet limité.
Ces règles n’avaient pas la même portée selon les périodes : les autorités les appliquaient plus ou moins strictement, et de nombreux migrants contournaient les contrôles en empruntant des ports non officiels comme Lugang, Daan ou Peikang.
Impact démographique et mythes sur la société taïwanaise
Déséquilibre hommes/femmes et mariages mixtes
Pendant la première moitié du XVIIIᵉ siècle, les sources mentionnent que les migrants étaient majoritairement des hommes. Le défaut d’autorisations familiales contribua à un déséquilibre hommes/femmes, du moins pendant les premières décennies. Ce déséquilibre a nourri une croyance populaire résumée par le proverbe « 有唐山公,無唐山媽 » (« il y a des hommes venus de Chine, pas de femmes »), selon laquelle la plupart des Taïwanais descendraient de mariages entre colons Han et femmes autochtones.
Des recherches récentes nuancent cette image : dans une étude de 2013, Huang Shu‑ren démontre que l’intermariage Han–indigènes resta marginal pour plusieurs raisons :
- Les documents ne mentionnent que quelques cas d’intermariages et soulignent surtout la pénurie initiale de femmes Han, sans évoquer de mariages massifs. La plupart des colons rentraient au Fujian ou faisaient venir des épouses après l’assouplissement des règles.
- Le déséquilibre hommes/femmes disparut dès le milieu du XVIIIᵉ siècle avec l’autorisation de faire venir sa famille.
- Les populations autochtones étaient numériquement insuffisantes pour absorber la demande matrimoniale de dizaines de milliers d’immigrants. Les tribus refusaient de laisser partir en masse leurs filles, et les préjugés ethniques dissuadaient les mariages mixtes.
- Les lois Qing interdisaient le mariage entre Han et autochtones et punissaient sévèrement les contrevenants. De plus, la plupart des tribus autochtones (shufan et shengfan) survécurent jusqu’à l’époque japonaise, preuve que leurs femmes n’avaient pas massivement épousé des Han.
- Des études génétiques montrent que la proportion moyenne d’ADN autochtone dans la population Han de Taïwan est relativement faible, confirmant que les unions mixtes furent peu nombreuses.
Ainsi, si les restrictions ont probablement contribué à un déséquilibre temporaire, elles n’ont pas entraîné un métissage généralisé. La majorité des Taïwanais ont des ancêtres Han venus en famille ou avec des épouses du continent.
Effets socio‑économiques
Les mesures restrictives ont également eu des effets économiques et sociaux :
- Elles ont favorisé le marché noir de la traversée : des milliers de personnes ont émigré clandestinement et corrompu les garde‑côtes. Les autorités punissaient les passeurs, mais les vagues migratoires continuèrent.
- La limitation des familles retarda la sédentarisation de certaines communautés Han. Sans conjoints ni descendants sur place, les travailleurs temporaires préféraient repartir une fois leur contrat terminé. Cela explique que le développement agricole initial se concentra sur la côte ouest sous contrôle direct des Qing.
- Les interdictions renforcèrent la pauvreté et l’instabilité chez les « 罗汉脚 » (hommes célibataires sans terre). Sans liens familiaux, beaucoup rejoignirent des sociétés secrètes ou participèrent à des révoltes, contribuant à l’insécurité chronique de la province.
- Les ports non officiels comme Lugang et Daan devinrent des zones d’entrée privilégiées, stimulant la formation de communautés marchandes et de réseaux de contrebande.
Controverses historiographiques
Les historiens s’accordent pour dire que les Qing imposèrent des restrictions à l’immigration, mais ils divergent sur leur nature précise. Selon l’historien Deng Kong‑zhao, la politique d’empêcher les « passages clandestins » et de limiter les familles débuta non en 1683 mais dans les années 1720. Il réfute l’idée que l’interdiction ait été codifiée en un seul décret. Les recherches contemporaines montrent que les autorités alternaient périodes de fermeture et périodes d’assouplissement : les familles furent autorisées à venir en 1732, puis de nouveau interdites en 1740, avant d’être à nouveau tolérées en 1745 et 1747. La clause visant les habitants du Guangdong fut rapidement levée.
Le débat concerne également la portée réelle de ces règles : certains travaux soulignent que l’interdiction ne touchait que les migrants sans propriété ou ceux originaires de régions réputées rebelles. D’autres pointent que la législation visant à expulser les colons sans famille ni biens (la « 编查流寓六部处分则例 ») n’avait pas pour objectif d’interdire l’immigration mais de contrôler les bandits et vagabonds.
Fin des restrictions et conséquences
Face à la pression migratoire et aux défis internationaux, les Qing modifièrent progressivement leur politique. Le tableau des réglementations (compilé par des historiens) montre des ordres successifs :
- 1684 : permis requis pour entrer à Taïwan, familles interdites.
- 1732 : autorisation d’accompagnement pour les épouses et les enfants.
- 1745–1747 : réouverture partielle de la migration familiale.
- 1761 : durcissement (départ uniquement de Xiamen, interdiction de réunir les familles).
- 1875 : abolition totale des restrictions sur l’entrée à Taïwan, sur proposition du commissaire Shen Baozhen.
Ce dernier prôna la politique « ouvrir les montagnes et pacifier les autochtones » (開山撫番) et souhaitait développer la colonisation de l’intérieur. La suppression de l’interdiction marqua le passage à une politique de peuplement encouragé.
Après 1875, l’immigration Han s’accéléra, surtout dans les plaines de l’ouest. La croissance démographique de Taïwan passa de 1,9 million en 1811 à plus de 2,5 millions en 1893. Les familles migrantes furent désormais autorisées à s’installer, et la colonisation agricole atteignit les montagnes, souvent au détriment des peuples autochtones.
A retenir 🧑🏫
- 📜 Le terme est un assemblage d’édits. Aucun texte de l’époque ne contient « 渡台禁令 ».
- 🛡️ Les Qing considéraient Taïwan comme un rempart. Ils limitaient l’immigration pour prévenir les révoltes et la piraterie.
- 🚫 Les migrants devaient obtenir un permis et voyager sans famille. Les habitants de Chaozhou et Huizhou étaient temporairement exclus.
- ⚖️ Le déséquilibre hommes‑femmes ne causa pas de métissage massif. Les études ADN montrent très peu de génétique autochtone dans les lignées han.
- 📆 Les restrictions ont été assouplies à plusieurs reprises puis abolies en 1875. Après cette date, des milliers de familles entières ont pu s’installer librement.

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