Nous avons eu l’honneur de rencontrer et d’échanger avec Fred Him-San Chin, ancien prisonnier politique du KMT qui a été injustement emprisonné pendant 12 ans dans les prisons taïwanaises e la Terreur Blanche. Il s’est donné comme mission de partager sa vie et son expérience afin que les futures générations n’oublient jamais ce qui s’est passé et s’assurent que celà ne se reproduise jamais.
🚨Attention🚨
Bien que cet entretien avec Fred Him-San Chin présente un témoignage essentiel sur la période de la Terreur Blanche et des pratiques du KMT de l’époque à Taïwan, certains propos relatés peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes ou des personnes particulièrement sensibles. Nous recommandons la prudence avant de lire ou de partager ce contenu.
Bonjour, Merci de prendre le temps de répondre à nos questions. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Fred Him-San Chin, j’ai 76 ans et j’étais auparavant malaisien. Aujourd’hui, je suis fier d’être taïwanais. Je suis un ancien prisonnier politique qui a subi 12 ans d’emprisonnement entre 1971 et 1983 pour de fausses raisons politiques, accusé d’avoir rejoint le parti communiste qui n’existait pas en Malaisie lorsque j’avais 16 ans et, en tant qu’étudiant étranger, d’avoir essayé d’utiliser des moyens illégaux pour renverser le gouvernement de la ROC.
Aujourd’hui, je suis un guide touristique qui témoigne de la vérité sur la tragédie, qui s’est déroulée pendant la période de terreur blanche à Taïwan sous le contrôle totalitaire du régime du KMT de 1949 à 1992.
Pour quelles raisons êtes vous venus à Taïwan ?
Je suis arrivé à Taïwan en 1967 à la suite d’une promesse faite à un de mes amis de lycée. Juste après avoir obtenu mon diplôme de fin d’études secondaires en 1966, j’étais censé me rendre à Liverpool pour y suivre des cours universitaires. Avant mon départ pour Liverpool, en Angleterre, mon ami m’a rendu visite en me disant qu’il partait à Taïwan pour l’université et qu’il espérait que je pourrais le rejoindre.
Je lui ai dit que s’il pouvait m’aider à obtenir l’autorisation d’aller à l’université de Taïwan, je l’accompagnerais. À ce moment-là, je pensais que c’était difficile, mais contre toute attente, j’ai obtenu le permis d’étudier à Taïwan, alors pour tenir ma parole, je suis venu à Taïwan.
Avez-vous aimé vivre à Taïwan ?
Oui, avant d’être arrêté, j’appréciais la vie à Taïwan, même si elle était pleine de défis.
Pouvez-vous nous raconter le jour où vous avez été arrêté ?
Le 3 mars 1971, je rentrais à mon dortoir après mon dernier cours de chimie physique, vers 17 heures. Un inconnu est apparu devant moi et m’a demandé « si je connaissais quelqu’un du nom de Chinxx ». Je lui ai dit que j’étais celui qu’il cherchait et lui ai demandé ce que je pouvais faire pour lui. Il m’a dit qu’il n’y avait rien de grave et m’a demandé de ne pas paniquer car un membre de ma famille, « M. Chai », venait de l’appeler et lui avait demandé de m’emmener le voir à Taipei car il repartirait tôt le lendemain matin pour la Malaisie. Je n’ai douté de rien et une fois monté dans la voiture, je n’arrivais pas à me souvenir que j’avais une relation du nom de « M. Chai » et lorsque je lui ai dit et demandé ce qu’ils attendaient de moi et où ils m’emmenaient ?
Ils ont souri avec ruse et m’ont dit que je le saurais à mon arrivée à Taipei. À partir de ce moment-là, j’ai perdu ma liberté pendant 12 ans.
À partir de ce moment-là, j’ai perdu ma liberté pendant 12 ans.
Fred Him-San Chin
Comment vous êtes-vous senti au début ? Pensiez-vous que vous seriez rapidement relâché, que tout cela n’était qu’une erreur ?
J’ai été choquée, bien sûr, mais j’ai cru qu’il ne m’arriverait rien.
Saviez-vous pourquoi vous aviez été arrêté ? Qui vous avait dénoncé et pourquoi ?
Non, à l’époque, je ne savais pas pourquoi j’avais été arrêté, car ils ne m’ont rien dit, se contentant de me dire que vous saviez mieux que nous ce que vous aviez fait.
Parliez-vous ou compreniez-vous bien le chinois à l’époque ?
Je comprenais que très vaguement, car mon mandarin était médiocre.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile à vivre pendant les premiers jours de détention ?
Pendant les deux premières semaines, les tortures ont été les pires moments mais également les pires de mon emprisonnement.
Comment s’est déroulé votre procès ?
Ils ont affirmé que le procès s’était déroulé de manière formelle et légale. Mais le procès ne s’est basé que sur de fausses accusations.
De quoi étiez-vous accusé ? Et quel a été le verdict ?
J’ai été interrogé au début pour « l’explosion survenue au bureau USCIS (Ndr : Bureau de gestion des citoyens américains expatriés) de Tainan », mais j’ai été condamné à 12 ans d’emprisonnement pour avoir tenté d’utiliser des moyens illégaux pour renverser le gouvernement du KMT et j’ai été inculpé en vertu de l’article 2, section 1, du « Statut de la rébellion », pour lequel la peine est seulement la mort.
J’ai été inculpé en vertu de l’article 2, section 1, du « Statut de la rébellion », pour lequel la peine est seulement la mort.
Fred Him-San Chin
Pouvez-vous nous parler de votre vie quotidienne en prison ?
Lorsque j’ai appris que je ne serai pas en mesure de retrouver ma liberté et que je subissais les tortures les plus cruelles, mon esprit a sombré dans le désespoir. Deux semaines plus tard, j’ai été transféré au centre de détention pour deux semaines d’isolement.
En entrant dans le centre de détention, j’ai vu « Justice et équité » sur le mur, ce qui m’a redonné un mince espoir d’être libéré car j’étais persuadé qu’ils ne trouveraient aucune raison de me détenir puisque je n’avais rien fait d’illégal selon les lois de la ROC ou de ma propre conscience. Mais j’avais tout faux et je suis resté emprisonné pendant 12 ans. À partir de ce moment, je me suis isolé et je n’ai plus parlé à personne, comme un mort-vivant, attendant mon dernier jour pendant quelques années, même lorsque j’étais à la prison de Green Island.
Même si la vie en prison est ennuyeuse, déchirante et désespérée, nous devons la supporter. Heureusement, dans la prison politique de Taïwan, nous étions complètement séparés des criminels de droits communs, de sorte qu’il n’y avait pas de brimades ou de brutalités. Nous étions libres d’une certaine manière, en essayant de ne pas gêner les autres détenus. Nous étions autorisés à lire, à écrire, à dessiner, à méditer, à bavarder tranquillement, à jouer au coffre, à faire des exercices physiques en tournant en rond dans la pièce après les repas ou simplement à nous asseoir près du mur pour passer le temps.
Les premières années, j’ai vraiment voulu abandonner et attendre la mort, mais plus tard, grâce aux encouragements et au soutien des autres prisonniers, j’ai retrouvé la vitalité nécessaire pour accepter le fait que j’étais prisonnière et j’ai commencé à me préparer pour le jour de ma libération. J’ai essayé d’apprendre des expériences des autres et des livres autorisés. J’ai intensifié mes cours de mandarin et j’ai appris la langue locale taïwanaise. Bien sûr, il était essentiel que je retrouve la santé et la confiance en moi pour affronter l’avenir.
Pouvez-vous nous parler des tortures physiques et psychologiques que vous avez subies ?
J’ai été forcé de m’asseoir sur un tabouret devant le bureau et on me demandait de me confesser, pendant plus de 48 à 50 heures, en m’interdisant de dormir, de manger ou d’aller aux toilettes. Je n’ai pas écrit un seul mot car je ne comprenais pas ce qu’ils voulaient que j’écrive. J’étais totalement épuisé, je me suis agenouillé et je les ai suppliés de me faire savoir ce qu’ils voulaient vraiment que je confesse. Hônnetement j’aurai pu signer n’importe quoi si j’avais compris ce qu’il me demandait… pour que celà s’arrête. Au lieu de me dire quoi écrire, ils ont commencé à me frapper et à me donner des coups de pied. Soudain, j’ai senti qu’il y avait quelque chose dans mon ventre qui essayait de s’échapper, j’ai ouvert la bouche et j’ai vomi une mare de sang.
Ils voulaient que je le nettoie, mais ne m’ont pas fourni de chiffon et m’ont cruellement demandé de le faire en utilisant ma bouche et ma langue. J’ai refusé de le faire, ils ont appuyé sur ma tête et mon nez et ma bouche ont touché le sang. La puanteur et l’aspect poisseux du sang ont sali mon visage. Ensuite, ils m’ont attaché et pendu la tête en bas, puis ils ont recouvert ma bouche d’un tissu mouillé et y ont introduit de l’eau salée. Je ne pouvais pas avaler l’eau et elle s’écoulait de ma bouche. Lorsque la pression et l’eau augmentaient, on pouvait sentir qu’un certain type de liquide suintait des yeux, du nez et des oreilles.
Cette torture m’a laissé des souffrances terribles et des séquelles jusqu’à aujourd’hui encore. A l’heure actuelle, mes yeux, mes oreilles et mon nez ne fonctionnent toujours pas très bien. La torture la plus douloureuse était l’utilisation d’une aiguille pour percer la chair entre les ongles de mes doigts. Je me suis évanoui plusieurs fois. J’ai essayé de me suicider à trois reprises entre les deux tortures, mais j’ai heureusement survécu.
J’ai essayé de me suicider à trois reprises entre les deux tortures
Fred Him-San Chin
Comment avez-vous fait face à ces horreurs ?
Je n’avais aucune réponse à donner sur la façon dont j’avais fait face à l’horreur. Il n’y avait aucun moyen de l’éviter, alors j’ai dû l’accepter.
Receviez-vous des visites ? Avez-vous reçu du courrier ou avez-vous été complètement coupé du monde ?
Avant l’inculpation, la communication était interdite. Les lettres de 200 mots maximum étaient autorisées après l’inculpation et toutes les lettres envoyées étaient contrôlées. Oui, les membres de la famille étaient autorisés à nous rendre visite et ma mère est venue une fois de Malaisie lorsque j’étais à Green Island.
Pendant cette période, avez-vous pu parler et vous lier d’amitié avec d’autres prisonniers ?
Oui.
Avez-vous parfois eu l’impression que vous alliez mourir en prison ? Qu’est-ce qui vous a donné la force de survivre ?
Oui, j’ai essayé de me suicider plusieurs fois pendant les interrogatoires, car je ne pouvais vraiment pas supporter les tortures physiques et mentales. À cette époque, ma mère était mon seul soutien.
Quand et comment avez-vous su que vous alliez être libéré ?
Ma peine d’emprisonnement de 12 ans était terminée et j’ai donc être libéré tout simplement.
Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ?
Je me suis senti mal, impuissant et déçu car on m’a refusé de retourner en Malaisie au motif que j’en savais trop sur Taïwan.
Qu’avez-vous fait lors de votre premier jour de liberté ?
Je me suis senti impuissant, ne sachant pas ce qu’il fallait faire. Le gouvernement du KMT a refusé mon retour au pays et n’a pas tenu sa promesse de me délivrer une carte d’identité, de s’occuper de mon logement et de mon travail. Le désespoir et la peur m’ont alors envahi.
Pourquoi avez-vous décidé de partager votre histoire avec le Musée National des Droits de l’Homme ?
Depuis le jour où j’ai été libéré, je me suis dit qu’il fallait oublier le passé et j’ai commencé une nouvelle vie jusqu’en 2009, date à laquelle j’ai pris ma retraite.
On m’a alors demandé de partager ma tragédie afin de la consigner pour qu’elle puisse servir de référence et éviter qu’une telle tragédie ne se reproduise à l’avenir. Je n’ai pas regretté d’avoir pris cette décision et je me suis senti fier de partager mon histoire et de pouvoir faire quelque chose pour le pays que j’aime.
Qu’attendez-vous de la Commission pour la justice transitionnelle ?
- La vérité doit être révélée avec exactitude et dans son intégralité,
- le passé doit être rappelé,
- la responsabilité de la tragédie doit être clarifiée,
- les auteurs doivent se manifester,
- les noms et les statuts des dirigeants du KMT doivent être supprimés,
- la compensation totale pour l’emprisonnement injuste doit être réexaminée et réalisée par une procédure judiciaire,
- l’ensemble de la population doit connaître l’injustice et l’histoire injuste du passé,
- l’importance du respect des droits de l’homme doit être communément répandue et promue par l’éducation, etc.
Êtes-vous capable de pardonner aujourd’hui ?
Oui, je suis prêt à pardonner mais pas à oublier.
Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de votre histoire ?
Je voudrais que l’on se souvienne pas uniquement de mon histoire mais de toutes les histoires de tous ceux qui ont souffert. Aucun d’entre nous ne doit être oublié.
Informations Pratiques :
Si vous souhaitez rencontrer Fred Him-San Chin vous pouvez assister à sa visite guidée (sur réservation) du Musée des Droits de l’Homme à Taipei.
National Human Rights Museum
- 🗺️ Localisation Google Maps
- 📌 Adresse : No. 131號, Fuxing Rd, Xindian District, New Taipei City, 231
- 📅 Ouverture : Ouvert tous les jours sauf le lundi et les jours féries de 9h00 à 17h00
- 💻 Site internet pour plus d’informations sur le musée
*Cet entretien a été réalisé en anglais et nous avons essayé de traduire au plus juste les mots utilisés par Fred Him-San Chin pour exprimer ses sentiments et ses peurs.
📱 Nos newsletters 📱
Abonnez-vous gratuitement à nos newsletters thématiques sur insidetaiwan.net pour des mises à jour régulières, des insights et une exploration approfondie de Taiwan, allant de sa culture à ses évolutions économiques et sociales.
- ⏯ Votre #Echo de Taïwan : Un aperçu de Taiwan, avec des anecdotes, des actualités, du vocabulaire, des faits culturels et bien plus pour tous les publics.
- ⏯ Newsletter #Economique : Des analyses approfondies sur les tendances, opportunités et défis économiques de Taiwan, un acteur clé mondial
- ⏯ Newsletter #Touristique : Des découvertes, des conseils, des activités, des astuces et des promotions pour explorer la diversité de Taïwan.
- ⏯ #Perspectives Taïwanaises : Explorez la société taïwanaise, mettant en lumière ses tendances, débats et transformations actuelles.
💞 Soutenez-nous 💞
- ⏯ Nous soutenir #financièrement
- ⏯ S’inscrire à nos #Newsletters
- ⏯ Nous suivre sur nos #réseaux sociaux
- ⏯ Devenir #partenaire
- ⏯ Proposer des #articles et du #contenu
- ⏯ Découvrir nos offres #professionnelles (Publicités, Conseils…)
Pour découvrir nos offres rendez-vous sur la page dédiée (Nous soutenir) ou contactez-nous pour collaborer avec nous.