Dans les profondeurs de Taïwan, nous plongeons dans l’univers de Guillaume, cuisinier français passionné et fondateur de Wild Ocean Taiwan, installé sur l’île depuis plus d’une décennie. Au-delà de sa profession, il partage avec nous son amour pour l’apnée, la beauté des fonds marins taïwanais, et un engagement écologique indéfectible. Découvrez comment ses rencontres, ses expériences et son désir de préserver l’océan ont conduit à la création d’une ONG dédiée à la conservation marine.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots pour nos lecteurs ? Qu’est-ce qui vous a amené à Taiwan?
Je vis à Taïwan depuis 2005. Je suis arrivé avec mon épouse, Sigo, qui est taïwanaise. Nous nous sommes rencontrés en France il y a 20 ans et nos voyages nous ont menés jusqu’ici. Nous vivons actuellement avec nos deux filles dans la campagne de Yilan, non loin de l’océan. Nos 3 chiens, nos poules et le chat Sébastien gardent la maison quand nous partons plonger.
Je suis cuisinier de profession, et j’ai ouvert une table d’hôtes, Le Pied Noir, dans notre vieille ferme que nous avons retapée nous mêmes. Je sers une cuisine francaise traditionelle, et parfois de la cuisine pied noir, celle de mes racines.
Depuis tout petit, je suis très proche de la nature. J’ai passé une bonne partie de mon enfance dehors, dans les forêts et les rivières. Je me sens chez moi au milieu des arbres, des pierres et des oiseaux. C’est un milieu que je comprends, parfois mieux que celui des hommes.
Comment avez-vous tous les deux commencé à faire de l’apnée et qu’est-ce qui vous a inspiré pour fonder une ONG ?
Pour Sigo, qui est Taïwanaise, L’océan n’a jamais été loin. Petite, elle attendait son père sur les rochers lorsqu’il partait pratiquer la chasse sous-marine sur la côte Nord Est. Mais elle n’a véritablement commencé la plongée que depuis quelques années.
Pour moi, qui suis originaire de l’Isère, c’était plutôt la montagne, dont le Mont Blanc, que l’on avait à l’horizon. Mais j’ai des souvenirs très forts d’étés passés en Bretagne ou au Pays Basque à jouer dans les vagues. J’étais également fasciné par le commandant Cousteau ; je collectionnais ses livres et le salon se transformait en paysage sous-marin. Je rêvais d’aventures et de plongée. J’avais également déjà une conscience écologique assez développée qui m’a été transmise par mes parents, engagés pour la protection de la nature dans notre région.
Notre aventure avec l’apnée et avec l’océan a véritablement commencé en 2018, lors d’un séjour à Penghu. Découvrir le paysage sous-marin, les coraux multicolores, l’abondance de vie, a pour moi été une révélation. Comment avais-je pu rester aussi longtemps à Taïwan sans en avoir connaissance ? Il est alors devenu évident pour moi que j’allais désormais explorer les fonds marins de l’île, les connaître, et tout apprendre sur eux. Ne pas le faire eut été déplacé, incongru, et une magistrale perte de temps.
Il est alors devenu évident pour moi que j’allais désormais explorer les fonds marins de l’île, les connaître, et tout apprendre sur eux
Guillaume
J’ai tout de suite voulu descendre plus profond et rester plus longtemps, mais sans la technique adéquate, les limites ont vite été atteintes. J’ai alors contacté mon ami Bruno Costantini, que je remercie infiniment au passage, qui pratique l’apnée depuis longtemps pour lui demander conseils. Ses histoire de plongée à Bali et de chasse sous-marine sur la côte bleue près de Marseille m’avaient fasciné et le désir de m’y essayer, mêlé à ma passion d’enfance pour le monde sous-marin, passion qui refaisait surface, rendait ce désir de nouveauté et d’aventures se faisait de plus en plus pressant.
C’est ainsi que j’ai rencontré Anthony Feoutis et sa femme, Jia Yin, qui débutaient alors leur école d’apnée à Taipei, VD Freediving. Anthony m’a transmis son enthousiasme et sa motivation, ce qui a rendu assez facile ma progression grâce à lui.
C’est quelqu’un qui a un véritable don pour transmettre et vous pousser à dépasser vos limites, dans la bonne humeur et toujours avec le sourire. Sigo, elle aussi, a rapidement eu l’envie de me rejoindre sous l’eau, et c’est avec Jia Yin qu’elle a appris à retenir son souffle pour descendre dans les profondeurs.
Qu’est-ce qui vous a inspiré pour fonder une ONG ?
En avril 2019, nous étions à XiaoLiuqiu, les coraux, les tortues, tout était magnifique. Un an après, j’y retournais pour passer mon niveau 3 d’apnée avec Anthony.
Les coraux étaient morts, couverts d’algues brunes, les fonds marins étaient devenus mornes, tristes. La vie s’en était allée et les poissons cherchaient désespérément un refuge, semblaient errer là où peu de temps auparavant ils s’épanouissaient. J’étais touché, blessé, et en colère. Mais pas pour longtemps.
J’ai très vite pris la décision, dans le train de retour, d’agir, de m’engager pour l’océan.
J’étais touché, blessé, et en colère
Guillaume
De nos jours, on entend souvent parler d’éco-anxiété. C’est quelque chose qui arrive à ceux qui restent passifs. Cela disparaît dès qu’on commence à agir. Même si le combat semble perdu d’avance, y prendre part nous donne du courage, et nos chances d’y arriver grandissent.
Mais c’est véritablement grâce à mon épouse, Sigo, que l’ONG a pu voir le jour. Travaillant elle-même pour une ONG de protection de l’environnement, SOW (the Society of Wilderness), elle m’a un jour proposé de m’occuper d’un projet concernant la conservation marine, et puisque personne d’autre ne semblait intéressé, j’ai dit oui immédiatement. J’avais déjà fait de l’océan et de sa conservation une véritable obsession, et j’avais la ferme intention de mener ma vie dans cette direction.
Ce premier projet n’a malheureusement pas vu le jour, trop ambitieux, trop long et complexe à mettre en place. Nous avons alors décidé de créer une nouvelle ONG dont le but serait la conservation maritime à Taïwan, mais en commençant avec des moyens à notre portée.
C’est ainsi que Wild Ocean a vu le jour, et grâce à notre rencontre avec Fabio Grangeon, Bastien Gianetti ,Vianney Denis et Salomé Galicher-Chen, qui nous ont permis de donner une base solide au projet dès le départ.
Pouvez-vous nous présenter votre ONG ?
Wild Ocean Taiwan est née de la constatation suivante : La protection et la conservation marine sur l’île existe, mais reste éparpillée et méconnue et par conséquent n’a pas un impact assez fort.
Notre but est simple : unifier et rendre visibles ces initiatives. Apporter plus de cohésion dans un milieu où les actions menées sont encore trop souvent isolées, créer une communauté de conservation marine à Taïwan, et utiliser les médias pour la rendre accessible au grand public.
Il y a donc deux axes principaux:
- Tout d’abord la mise en place d’une communauté matérialisée par une plateforme en ligne, regroupant tous les acteurs de la conservation marine à Taïwan : plongeurs, scientifiques, associations, groupes de protection, organisations gouvernementales…
- Ensuite la production de matériel audiovisuel pour donner à cette communauté un espace d’expression et lui permettre de faire passer ses messages et renforçant ainsi son impact.
Cela prendra la forme d’une série documentaire filmée, et d’un podcast bilingue ayant pour thème l’océan à Taïwan.
Qui fait vivre Wild Ocean Taiwan ?
Fabio Grangeon, notre porte-parole et vice-président, est acteur, modèle et producteur. Il est passionné de l’océan et son devenir le concerne énormément. Il s’est donc engagé à nos côtés afin de donner à Taïwan une chance d’avoir un océan dont nous pourrions être fier un jour, espérons le, le plus proche possible.
Selon lui, Taïwan est un exemple dans de nombreux domaines, mais en termes de protection, d’éducation et de prises de position pour l’environnement, il lui semble qu’il y a encore beaucoup à faire. Son expertise et son expérience en matière de production vidéo, d’images et de relations avec le public nous sont d’une aide inestimable.
Bastien Giannetti est le Manager de l’hôtel W Taipei, et il est aussi un passionné du milieu marin, étant plongeur depuis l’enfance. Il voyage beaucoup et sa passion pour la mer l’a amené à être témoin de spectacles que peu de gens ont l’occasion d’admirer. Comme tous ceux qui ont vu l’océan sous son plus beau jour, il l’a aussi vu dans sa détresse. Soucieux d’agir en faveur du grand bleu, Il a ainsi décidé de nous apporter son soutien et celui du groupe Marriott pour lequel il travaille.
Vianney Denis est un membre actif de notre comité scientifique, aux côtés d’ Aziz J Mulla. Docteur en Biologie Marine, il est à la tête du laboratoire Functional Reef ecology Lab à l’Université Nationale de Taïwan (NTU). Il est également chargé par l’Ocean Conservation Administration (qui est l’organisme gouvernemental de la conservation marine à Taïwan) de conduire une recherche sur les aires marines protégées autour de l’île. Les connaissances scientifiques,et du terrain détenues par Vianney et Aziz sont pour nous indispensables et nous donnent une direction, ainsi que des bases solides.
Salomé Galicher-Chen est également docteur en biologiste marine à NTU, spécialisée dans la recherche sur le plancton et manager de l’école de plongée sous-marine Gweno Diving-Taiwan (NDR ; Découvrez notre interview de Gwenola, spécialiste de plongée avec bouteille). Secrétaire Générale de notre organisation, c’est elle qui fait le lien entre Wild Ocean et l’extérieur. Son énergie, ses connaissances et sa passion pour l’océan font de Salomé un pilier irremplaçable de notre association.
Gisele Wang, notre secrétaire adjointe, est chargée des tâches administratives, elle est également plongeuse et une fervente protectrice de l’océan.
Sigo Lin, mon épouse, est une source de conseils avisés qui nous sont indispensables. Elle est notre conseillère, elle est également responsable du département Océans pour l’ONG S.O.W, son expérience et son professionnalisme sont précieux, son amour pour la nature et son souci pour le devenir de notre planète et de nos enfants sont pour nous un moteur.
Philip Hamilton, notre parrain, est un cinéaste de renommée internationale spécialisé dans la conservation marine.
Auteur, entre autres, des films “Ocean Souls” et “Collision”, ses films sont de rares témoignages de la situation actuelle des océans et de leurs habitants. Son soutien nous est extrêmement précieux, et cela signifie énormément pour nous..
Quels sont les types d’actions organisées par votre ONG ?
Comme mentionné précédemment, nous nous efforçons d’abord de donner une voix à la conservation marine à Taïwan à travers la communauté, la production de documentaires et la création d’une chaîne de podcasts. Cependant, nos actions ne s’arrêtent pas là. Sur le terrain, nous participons et organisons des nettoyages sous-marins et côtiers. Nous intervenons en particulier sur les filets de pêche abandonnés et dérivants, qui représentent un danger réel pour la faune marine et les récifs coralliens. Ces nettoyages donnent lieu à des rapports qui sont ensuite communiqués aux autorités et aux entreprises à l’origine des déchets collectés.
Nous avons également commencé à collaborer avec le programme iReef Taiwan, qui permet aux plongeurs de participer à la recherche scientifique de manière participative. Nous proposons des ateliers et des conférences sur le thème de la conservation marine, de la plongée dédiée à la conservation et de la recherche en biologie marine. Notre agenda pour l’année à venir est chargé d’actions et d’interventions de toutes sortes. En particulier, nous avons l’intention de renforcer les moyens d’information destinés au public concernant le littoral en matière d’écologie et de comportement sur les sites touristiques.
La collecte et le ramassage des déchets par les autorités locales sur ces mêmes lieux constituent également un problème auquel nous nous attaquerons cette année. L’éducation est un sujet primordial, car c’est en éduquant que l’on peut espérer changer les comportements qui sont souvent la cause des dégradations causées au milieu marin. En intervenant dans les écoles, auprès des personnes âgées et en entreprise, nous pouvons également faire passer notre message. La surpêche est un problème qui nous préoccupe beaucoup. C’est un problème directement lié aux habitudes de consommation, qui, selon nous, sont excessives à Taïwan.
La consommation non raisonnée des produits de la mer atteint des proportions alarmantes. Là aussi, il s’agit d’éducation. Apprendre à consommer de manière responsable, savoir quelles espèces sont particulièrement menacées, constitue un programme éducatif en soi. Enfin, la sécurité en mer est aussi un sujet sur lequel nous devons travailler. En effet, lorsque l’on s’occupe de protéger l’océan et donc, d’une certaine manière, d’en faire la promotion, nous sommes responsables de la sécurité de ceux qui voudront aller voir par eux-mêmes. La mer est un terrain de jeu fabuleux, mais elle est également extrêmement dangereuse. La méconnaissance dans le domaine des sports aquatiques à Taïwan est encore problématique, surtout lorsque l’on vit si proche des côtes ou que l’on se trouve.
Pouvez-vous nous parler de votre premier évènement ‘’ Freediving for the Ocean” qui a eu lieu les 16 et 17 septembre derniers ?
Cet événement sur deux jours avait pour but de donner à la pratique de l’apnée une dimension qui lui manque trop souvent : la protection des océans. En effet, il est trop courant de croiser des apnéistes en mer qui sortent de l’eau sans un déchet en poche, mais la GoPro pleine de photos. Nous avons donc collaboré avec Anthony et Jia Yin de VD Freediving, ainsi qu’avec Vianney Denis de NTU, pour offrir une vision complète de ce qu’il est possible de faire pour l’océan en tant qu’apnéiste.
En se munissant d’une bonne connaissance technique et des protocoles de sécurité nécessaires, ainsi que des connaissances scientifiques requises pour comprendre le milieu dans lequel on évolue, il est possible de faire beaucoup pour la conservation. Le temps passé en mer peut donc être employé à des fins utiles. Nous sommes les témoins directs des changements et des dégradations. Les montrer est déjà une première étape très importante, et tellement simple de nos jours. Ensuite, s’engager, prendre part à des actions sur le terrain, retirer des eaux ce qui n’a rien à y faire, et rejoindre un groupe de protection. Et enfin, aider la science grâce à des programmes de science participative.
Auriez vous quelques conseils pour profiter pleinement d’une bonne séance de plongée en apnée?
Être en bonne forme physique est primordial, savoir se relaxer est indispensable. Ensuite, connaître le site et ses dangers potentiels, ainsi qu’être au courant des conditions météorologiques. Enfin, voici mon conseil personnel : prenez soin de l’océan, et il vous le rendra. L’apnée n’est pas seulement un sport ; c’est une expérience complète. Être conscient du milieu dans lequel on évolue lorsque l’on plonge est fondamental. En apnée, la relaxation, le calme de l’esprit, et le ralentissement du rythme cardiaque sont des paramètres essentiels.
S’occuper de l’océan vous donnera une force mentale et une paix intérieure inégalables, qui se répercuteront positivement sur vos performances en tant que plongeur.
Quels sont les principaux défis du “beach cleaning” ou “ocean cleaning”, en particulier à Taiwan ?
La sécurité d’abord, c’est le plus important. On ne met pas sa vie en danger pour une bouteille en plastique. Ensuite, il est essentiel de savoir pourquoi on le fait. On peut nettoyer indéfiniment, sans relâche, il y aura toujours des déchets. Nous nettoyons pour montrer la gravité de la situation, pour informer et éduquer. Nous nettoyons pour qu’un jour, nous n’ayons plus besoin de le faire.
Comment pouvez-vous encourager la communauté de la plongée sous-marine à être plus consciente et proactive en matière de conservation marine ?
Nous le faisons en organisant des événements de nettoyage, des discussions et des conférences. Nous avons commencé avec S.O.W, et nous continuons avec W.O.T. Lorsqu’un plongeur est confronté pour la première fois à une vraie situation de nettoyage, qu’il constate la quantité impressionnante de déchets que l’on peut sortir de l’eau en une heure de temps, il est rare que ce plongeur passe encore à côté d’un déchet sans le ramasser, et ne prenne pas une photo pour la partager sur les réseaux sociaux.
Quels sont vos projets d’avenir pour votre ONG ?
Comme discuté précédemment, notre agenda est chargé, mais le véritable projet d’avenir, sur le plus long terme, est la création d’une aire marine protégée qui soit efficace et qui fonctionne comme un modèle. Il y a une quarantaine d’aires marines protégées à Taïwan, mais leur efficacité est moindre, voire nulle, et cela pour de multiples raisons. Le problème est d’ailleurs commun au niveau international, car il y a une préoccupation à montrer des chiffres dans un bref délai. Notre objectif est de privilégier la qualité, sans se préoccuper de la quantité. Car c’est à l’océan que nous voulons apporter des résultats, pas à l’électorat. L’océan nous a tout donné, il nous a donné la vie, nous n’avons fait que prendre, sans rien donner en retour. Il est temps de donner à l’océan ce que nous lui devons.
Pouvez-vous partager une histoire ou une expérience particulièrement mémorable que vous avez eue en apnée à Taiwan ?
Il y en a beaucoup, mais je crois que ma rencontre avec un poulpe géant dans les eaux de Nan Fang Ao un jour de houle et de ciel sombre, est la plus mémorable. Tellement gros que je l’ai pris pour un requin. C’était magnifique, mais très bref.
Pouvez-vous nous donner un ou deux lieux pour faire de l’apnée qui sont incontournables mais méconnus à Taïwan ?
Comme l’a dit le célèbre surfeur Gerry Lopez “ Surf is where you find it.“ C’est la même chose pour l’apnée, le lieu ne fait pas tout, car il s’agit également d’une expérience intérieure.
Et pour finir, mis à part dans les fonds marins, quels sont les 3 endroits où nous avons le plus de chance de vous croiser à Taïwan ?
Dans ma cuisine, dans le magasin d’outils du coin, ou sur les bords d’une rivière en pleine nature. Venez savourer une expérience authentique de la gastronomie française traditionnelle, accompagnée d’un délicieux vin français. Laissez-vous transporter par un voyage culinaire inoubliable au cœur de la France, dans notre vieille ferme de campagne de Yilan, un havre de paix loin du stress de Taipei.
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4 Responses
Super article! Merci!
Bonjour, merci pour vos encouragements ! Tout le mérite revient à notre nouvelle rédactrice, Salomé qui a réalisé une très belle interview d’un super projet !
Très bel article.
Bonjour merci pour vos encouragements !