Shen Guangwen (沈光文), lettré du Jiangnan né dans le Zhejiang au début du XVIIe siècle, occupe une position déterminante dans l’histoire intellectuelle de Taïwan. Son itinéraire traverse l’effondrement des Ming (1368–1644), la période des résistances des Ming du Sud (1644–1662), l’installation du régime des Zheng à Taïwan (1661–1683), puis l’intégration de l’île à l’Empire Qing (1644–1912).
La postérité lui attribue des titres fondateurs — « ancêtre des sources écrites de Haidong » et « père de la littérature classique chinoise à Taïwan » — qui ne relèvent pas d’une simple célébration mémorielle : ils signalent l’apparition d’une production textuelle durable, localisée, et progressivement reconnue comme un corpus taïwanais. La singularité de Shen Guangwen tient à la nature de ses écrits : il combine l’expression lyrique de l’exil, la mise en ordre d’un monde nouveau, et une attention descriptive aux milieux, aux plantes, aux usages et à l’espace, constituant ainsi une archive lettrée de la Taïwan du XVIIe siècle.
Une formation lettrée dans la crise de la souveraineté
La trajectoire de Shen Guangwen s’inscrit dans la culture du lettré confucéen tardif, structurée par le concours, la maîtrise des classiques et la sociabilité savante. Son parcours d’études et sa participation aux examens, sans déboucher sur une carrière impériale stabilisée, illustrent une génération prise dans la rupture : l’ordre politique s’effondre alors même que l’ordre moral du lettré demeure exigeant.
Après 1644, l’engagement de Shen dans les réseaux loyalistes ne se réduit pas à l’action militaire ; il participe aussi d’une politique de l’écrit, où la légitimité se maintient par la mémoire dynastique, la fidélité rituelle et la continuité culturelle. Dans ce cadre, la fonction du texte change : il ne sert plus seulement l’administration d’un centre impérial, il devient un instrument de survie identitaire et un moyen de recomposer un monde politique dispersé.
L’arrivée à Taïwan et la question chronologique
La présence de Shen Guangwen à Taïwan constitue l’un des nœuds historiographiques majeurs du dossier. Longtemps, des traditions textuelles ont situé sa venue autour de 1651, parfois en l’inscrivant dans un récit qui le ferait précéder la conquête de Zheng Chenggong. Cependant, la réévaluation critique des sources, notamment à partir de matériaux tardifs et de leur transmission imprimée, a mis en évidence des décalages internes, des anachronismes administratifs et des erreurs de copie.
Les recherches modernes ont insisté sur la nécessité de distinguer l’itinéraire de Shen dans le monde maritime Fujian–Jinmen–Xiamen, de la date effective de son arrivée sur l’île. La solution la plus solide retient une arrivée en 1662, peu après la mort de Zheng Chenggong, à la suite d’un épisode météorologique violent ayant déporté son navire vers Taïwan ; cette datation s’accorde davantage avec la cohérence chronologique des acteurs évoqués et avec la restitution philologique d’un passage manquant dans une tradition imprimée antérieure.
Cette controverse éclaire un enjeu plus vaste : l’histoire culturelle de Taïwan du XVIIe siècle s’est longtemps construite à partir de récits produits après coup, où le prestige d’un « premier lettré » servait des politiques de mémoire locales. Le cas Shen Guangwen montre ainsi comment la chronologie devient un argument de fondation : dater l’arrivée plus tôt revient à déplacer l’origine de la culture lettrée taïwanaise vers la période néerlandaise, alors qu’une arrivée en 1662 inscrit la genèse du corpus dans l’ordre mingiste résiduel et dans les recompositions de l’État des Zheng.

Écrire Taïwan : un geste de description et de territorialisation
La contribution majeure de Shen Guangwen tient à la transformation de Taïwan en objet de langage savant. Ses textes construisent l’île comme un espace nommable, classable et représentable. Cette opération se déploie sur plusieurs plans : l’observation des reliefs, l’attention aux végétaux et aux usages, la notation des pratiques quotidiennes, et la composition d’ensembles destinés à fixer une connaissance transmissible.
Dans cette perspective, l’écriture ne reflète pas seulement un séjour : elle institue une scène taïwanaise du savoir, où le lettré transplante des catégories classiques tout en les ajustant à une réalité insulaire. Les notices sur les plantes, les descriptions de lieux, et les tentatives de cartographie ou de « considération géographique » relèvent d’une même dynamique : produire un horizon de compréhension de Taïwan par l’outillage intellectuel du monde sinisé, tout en laissant affleurer l’étrangeté du terrain.
Ce geste a une valeur historiographique exceptionnelle. Les écrits de Shen ne se limitent pas à l’éloge ou au registre moral ; ils laissent des traces sur des aspects matériels et sociaux difficiles à documenter autrement pour la période. Ils contribuent ainsi à l’histoire environnementale et à l’histoire des sensibilités, autant qu’à l’histoire des institutions lettrées.
Shen Guangwen et l’ordre des Zheng : lettrés, sociabilités, institutions
La mémoire taïwanaise associe Shen Guangwen à un noyau de lettrés arrivés avec ou autour des Zheng, auteurs des premières œuvres littéraires en chinois classique produites sur l’île. Cette constellation, parfois désignée comme les « Trois de Dongning », signale l’existence d’un milieu où la poésie, les échanges savants et les formes rituelles participent d’une légitimation politique.
Le régime des Zheng, gouverné par l’impératif militaire, a néanmoins besoin d’une armature culturelle : écoles, rites confucéens, écriture administrative, et mise en scène d’une continuité « Ming ». Dans ce contexte, Shen Guangwen sert moins un appareil bureaucratique que la constitution d’un espace de sociabilité lettrée, susceptible de stabiliser l’autorité et de produire un récit d’ordre.
Les traditions locales soulignent également son rôle dans l’enseignement, la médiation culturelle et certaines pratiques de soin dans les communautés rurales de la région de Tainan, notamment autour de l’actuelle Shanhua. Même lorsque ces attributions relèvent partiellement d’une construction mémorielle, elles indiquent un phénomène central : la figure du lettré s’inscrit dans le paysage social, devient un repère moral et un opérateur de transmission, au croisement de l’écriture, du rituel et de la proximité locale.
Œuvres et statut de source
Le corpus attribué à Shen Guangwen comprend un recueil poétique et des textes de nature descriptive ou érudite, dont une « rhapsodie sur Taïwan », des notes sur les plantes, un examen du statut d’« exilé » ou de « résident temporaire », et des tentatives d’organisation géographique. L’intérêt scientifique de ces œuvres ne tient pas seulement à leur contenu ; il tient aussi à leur statut de médiation entre genres. La poésie fournit une grammaire de l’exil et de la perte, mais elle s’adosse à une empiricité du lieu.
Les textes descriptifs, eux, se présentent comme savoir, mais ils charrient une subjectivité de la distance et une politique implicite de la nomination. Cette hybridité est précisément ce qui fonde Shen Guangwen comme « source » : il ne produit pas un rapport administratif, il produit une Taïwan écrite qui circule, se commente, se compile, et devient progressivement un matériau pour les compilations postérieures.
L’usage académique de Shen exige néanmoins une prudence méthodologique. Les chaînes de transmission imprimée, les réécritures biographiques et les reconstructions locales ont pu introduire des glissements. La critique interne des textes, la comparaison des versions et la confrontation avec les compilations Qing demeurent indispensables pour distinguer l’observation du topos, et la donnée du dispositif rhétorique.
Mort, mémoire et patrimonialisation
Shen Guangwen meurt en 1688 et la tradition situe sa sépulture dans la région de Shanhua. À l’époque contemporaine, la patrimonialisation a multiplié monuments, toponymes et lieux de commémoration, à Taïwan comme dans sa région d’origine du Zhejiang. Cette mémoire active ne relève pas seulement du souvenir : elle participe d’une politique culturelle qui fait de Shen Guangwen un « fondateur » de l’écriture taïwanaise en chinois classique.
L’inscription de sa figure dans des temples, des écoles ou des dispositifs commémoratifs traduit un double mouvement : sacraliser le lettré comme ancêtre culturel, et ancrer l’histoire locale dans une généalogie savante lisible.
Cette construction mémorielle n’annule pas la valeur historique de Shen ; elle en précise la portée. Son importance réside dans le fait qu’il rend Taïwan pensable comme espace de texte avant la pleine normalisation Qing. Il incarne une phase où l’île n’est pas seulement un enjeu géopolitique, mais un lieu d’élaboration intellectuelle, où l’écrit participe à la formation d’une scène culturelle durable.
À retenir 🙂
- 📚 Shen Guangwen stabilise un premier corpus d’écrits en chinois classique produits à Taïwan au XVIIe siècle
- 🧭 Il transforme Taïwan en objet savant par la description, la classification et la représentation du territoire
- ⏳ Le débat sur sa date d’arrivée révèle les mécanismes de fabrication des « récits fondateurs »
- 🏛️ Ses textes servent d’archives pour l’histoire sociale et environnementale de la Taïwan pré-Qing
- 🪧 Sa mémoire illustre la patrimonialisation moderne des figures lettrées comme ancêtres culturels

🚀 Prêt à rester connecté à Taïwan sans stress ?
Active ton eSIM Saily en quelques clics, choisis ton forfait (dès 3,43 €) et navigue sans coupure dans plus de 200 pays. *
👉 Installe l’app et obtient 5% de remise sur ton 1er achat sur ton premier achat. Avec le code : InsideTaiwan
es autres 👨👩👧👦: Incitez vos amis, votre famille et les autres randonneurs à faire de même. Un simple geste ou un mot d’encouragement peut inspirer quelqu’un à agir de manière responsable.
🤝 Programme d’affiliation 🤝
📌 Certains liens de cet article, ainsi que certaines images, renvoient vers des liens sponsorisés, permettant à Insidetaiwan.net de toucher une commission en cas d’achat, sans aucun coût supplémentaire pour vous. 💰 Cela nous aide à financer le magazine et à continuer à vous offrir un contenu indépendant et de qualité. 📖✨
💞 Soutenez-nous 💞
- ⏯ Nous soutenir #financièrement
- ⏯ S’inscrire à nos #Newsletters
- ⏯ Nous suivre sur nos #réseaux sociaux
- ⏯ Devenir #partenaire
- ⏯ Proposer des #articles et du #contenu
- ⏯ Découvrir nos offres #professionnelles (Publicités, Conseils…)
Pour découvrir nos offres rendez-vous sur la page dédiée (Nous soutenir) ou contactez-nous pour collaborer avec nous.