Sun Yat-sen : père de la République de Chine

Sun Yat-sen, fondateur de la République de Chine : rôle, monuments, controverses et impact à Taïwan aujourd’hui.

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Figure révolutionnaire majeure du début du XXème siècle, Sun Yat-sen est considéré comme le « Père de la nation » en République de Chine (Taïwan). Fondateur de la première république chinoise en 1912 et idéologue des Trois principes du peuple, il a largement influencé le nationalisme chinois et la politique du Kuomintang. Son image a évolué au gré des régimes et des générations, et son héritage suscite aujourd’hui à Taïwan des débats qui reflètent la tension entre identité taïwanaise et héritage chinois.

Jeunesse et parcours révolutionnaire

Né en 1866 dans une famille modeste du Guangdong, dans le sud de la Chine, Sun Yat-sen (孫逸仙) grandit à une époque où l’Empire chinois des Qing est miné par les ingérences étrangères et les révoltes internes. Jeune homme brillant, il étudie à Hawaï puis à Hong Kong où il se forme en médecine tout en s’imprégnant des idées occidentales de progrès, de démocratie et de christianisme. Constatant la faiblesse de la Chine face aux puissances étrangères et la corruption du régime impérial, le jeune Sun développe la conviction que seule la chute de la monarchie mandchoue et l’établissement d’une république modernisée pourront sauver le pays. Dans les années 1890, il s’implique dans des cercles révolutionnaires clandestins et co-fonde en 1894 la Société pour la régénération de la Chine, posant ainsi les bases d’un mouvement anti-Qing.

En 1895, Sun Yat-sen organise une première insurrection armée contre le régime impérial à Canton. Ce soulèvement échoue et le contraint à l’exil, marquant le début d’une longue période d’errance durant laquelle il parcourra le Japon, l’Europe et les États-Unis afin de rallier la diaspora chinoise et les soutiens étrangers à sa cause. Infatigable, Sun s’impose progressivement comme le chef de file des révolutionnaires chinois en exil. En 1905, il fédère divers groupes insurgés en fondant à Tokyo l’Alliance révolutionnaire chinoise (Tongmenghui). Il y formule sa doctrine des Trois principes du peuple, le nationalisme, la démocratie et le bien-être du peuple, qui deviendra le credo de la lutte révolutionnaire. Par son charisme, son entregent international et la clarté de son programme, Sun Yat-sen jette les fondations idéologiques et organisationnelles du mouvement qui va renverser deux millénaires de monarchie en Chine.

Photo de Sun Yat-sen et de ses amis, surnommés Si Da Kou (四大寇), au Hong Kong College of Medicine for Chinese (de gauche à droite : Yang Heling, Sun Yat-sen, Chen Shaobai et You Lie ; debout, Guan Jingliang). – Copyright : Wiki Commons

Un rôle clé dans la fondation de la République de Chine

Le 10 octobre 1911, une rébellion militaire éclate à Wuchang, dans le centre de la Chine, déclenchant une vague de soulèvements provinciaux contre la dynastie Qing. Ce mouvement, connu sous le nom de Révolution Xinhai, se propage rapidement et provoque la chute de l’Empire. Bien qu’il soit alors en voyage à l’étranger, Sun Yat-sen est reconnu comme l’architecte intellectuel de la révolution en raison de son action militante passée. Le 1er janvier 1912, il est élu président provisoire de la nouvelle République de Chine, proclamée à Nankin. Ce premier gouvernement républicain marque une rupture historique : l’empereur abdique quelques semaines plus tard, mettant fin à plus de 2 000 ans de régime impérial.

Conscient toutefois de son pouvoir militaire limité face aux armées encore fidèles à l’ancien régime, Sun Yat-sen prend la décision stratégique de céder la présidence, dès mars 1912, au général Yuan Shikai, un militaire de haut rang susceptible d’unifier le pays. En échange, Yuan doit accepter le principe républicain et convaincre l’empereur enfant Puyi d’abdiquer – ce qu’il obtient effectivement. Si cette passation de pouvoir préserve l’unité nationale à court terme, elle s’avère vite décevante : Yuan Shikai trahit l’idéal démocratique en dissolvant le parlement naissant et en s’arrogeant progressivement les pleins pouvoirs, allant même jusqu’à tenter de se proclamer empereur en 1915. Face à cette dérive autoritaire, Sun Yat-sen repart en résistance. Durant les années chaotiques qui suivent la mort de Yuan Shikai en 1916, la Chine sombre dans le morcellement aux mains des seigneurs de la guerre. Sun s’établit alors dans le sud, à Canton, où il crée en 1917 un gouvernement révolutionnaire rival avec l’objectif de réunifier le pays. Il refonde le parti nationaliste sous le nom de Kuomintang (KMT) et, ne disposant pas de forces suffisantes, sollicite l’aide de l’étranger.

Au début des années 1920, Sun Yat-sen s’allie tactiquement avec l’URSS et accueille en son sein de jeunes membres du Parti communiste chinois naissant, scellant ainsi le Premier Front uni en 1924. Avec un soutien soviétique, il restructure le KMT en parti de masse discipliné et crée l’Académie militaire de Huangpu (Whampoa) pour former une armée révolutionnaire (dont Chiang Kai-shek sera commandant). Cette dernière phase de son action témoigne de son pragmatisme : Sun accepte une alliance idéologique hétéroclite pour concrétiser son rêve d’une Chine unifiée et forte. Gravement malade cependant, il ne verra pas l’aboutissement de ses efforts. Sun Yat-sen meurt le 12 mars 1925 à Pékin d’un cancer, à 58 ans, alors qu’il tentait encore de négocier la réunification avec les chefs militaires du Nord. Sa disparition endeuille le camp nationaliste, mais son héritage politique et symbolique va perdurer bien au-delà de sa vie, alimentant la suite de l’histoire chinoise.

Quelques dates à retenir

Voici les grandes dates du parcours de Sun Yat-sen :

  • 1866 : Naissance de Sun Yat-sen (Sun Wen) le 12 novembre à Cuiheng, dans la province du Guangdong (sud de la Chine).
  • 1895 : Première tentative de soulèvement armé contre la dynastie Qing à Canton, organisée par Sun et ses alliés ; l’échec de l’insurrection force Sun à l’exil.
  • 1905 : Fondation à Tokyo de l’Alliance révolutionnaire chinoise (Tongmenghui), qui unifie divers groupes anti-Qing et énonce la doctrine des Trois principes du peuple.
  • 10 octobre 1911 : Soulèvement de Wuchang déclenchant la Révolution Xinhai ; en quelques semaines, la dynastie Qing s’effondre et plusieurs provinces proclament leur indépendance impériale.
  • 1er janvier 1912 : Proclamation de la République de Chine à Nankin. Sun Yat-sen devient le premier président provisoire de la république naissante.
  • 12 février 1912 : Abdication du dernier empereur Qing, Puyi ; Sun démissionne de la présidence et la transfère au général Yuan Shikai pour consolider l’unité nationale.
  • 1917 : Sun Yat-sen établit un gouvernement révolutionnaire à Canton (sud de la Chine) pour s’opposer aux seigneurs de la guerre contrôlant le Nord, affirmant la légitimité de la République face aux factions militaires.
  • 1924 : Réorganisation du Kuomintang avec le soutien de l’Union soviétique et alliance du KMT avec le Parti communiste chinois (Premier Front uni) afin de préparer l’expédition militaire de réunification du pays.
  • 12 mars 1925 : Décès de Sun Yat-sen à Pékin des suites d’un cancer, à l’âge de 58 ans. Il laisse un testament politique exhortant ses successeurs à poursuivre son œuvre d’unification et de modernisation de la Chine.

Évolution de son image en République de Chine et à Taïwan

Dès sa mort, Sun Yat-sen accède au statut de héros national dans la mémoire collective chinoise. Le gouvernement nationaliste (KMT) de l’époque républicaine le consacre « Père de la République de Chine » – en chinois Guófù (國父), littéralement « père de la nation ». Des funérailles nationales lui sont accordées et un majestueux mausolée est érigé à Nankin en 1929 pour abriter sa dépouille. Durant l’entre-deux-guerres en Chine continentale, son image fait l’objet d’un véritable culte d’État orchestré par le Kuomintang de Tchang Kaï-chek (Chiang Kai-shek), son protégé et successeur à la tête du parti. Le portrait de Sun orne alors les bâtiments officiels, les écoles et les cérémonies publiques. Chaque année, sa naissance (12 novembre) et la date du soulèvement républicain du Double-Dix (10 octobre 1911) sont commémorées avec ferveur par le régime. Sun Yat-sen incarne l’unité de la nation chinoise naissante et sert de mythe fédérateur pour la jeune république, au même titre que Marianne pour la République française. Parallèlement, même les communistes chinois reconnaissent son importance historique : Mao Tsé-toung lui rend hommage en le qualifiant de précurseur de la révolution populaire. Ainsi, fait unique au XXème siècle, Sun Yat-sen est vénéré à la fois par les nationalistes du KMT et respecté par les communistes du Parti communiste chinois – les deux ennemis de la guerre civile se réclamant chacun de son héritage révolutionnaire.

Après 1949, l’évolution de l’image de Sun Yat-sen prend des trajectoires différentes de part et d’autre du détroit de Taïwan. En Chine continentale, la nouvelle République populaire de Chine (RPC) de Mao intègre Sun dans le récit national en le décrivant comme le « Précurseur de la Révolution » – reconnaissant son rôle dans l’éradication de l’empire Qing, tout en minimisant son idéologie bourgeoise au regard du communisme. Pékin commémore sobrement la révolution de 1911, par exemple chaque 10 octobre un discours officiel rappelle son souvenir sans en faire un grand jour férié, de peur de glorifier un régime antérieur non communiste. À Taïwan, en revanche, où s’est réfugié le gouvernement du Kuomintang après sa défaite face aux communistes, Sun Yat-sen reste au centre de la légitimité historique. La République de Chine (ROC) se perpétue sur l’île en revendiquant la continuité de 1912, et Sun en demeure le père fondateur incontesté. Durant les décennies de loi martiale (années 1950-1980) sous le régime autoritaire de Chiang Kai-shek puis de son fils, l’effigie de Sun Yat-sen est omniprésente : son portrait trône dans les écoles, les tribunaux et jusqu’à la salle du Parlement, et chaque fonctionnaire doit prêter serment d’allégeance devant son image. La propagande du parti unique KMT exalte son idéologie des Trois principes du peuple comme fondement de l’État. En somme, Sun Yat-sen sert de lien symbolique entre Taïwan et la Chine continentale aux yeux des gouvernants nationalistes, justifiant que Taipei se présente comme le détenteur légal de l’héritage républicain chinois.

Avec la démocratisation progressive de Taïwan à partir de la fin des années 1980 et l’affirmation d’une identité taïwanaise distincte, le regard porté sur Sun Yat-sen s’est toutefois nuancé au sein de la société taïwanaise. Officiellement, il demeure le « Père de la Nation » inscrit dans la Constitution de la ROC, et les gouvernements successifs, y compris sous l’opposition démocratique, ont en général maintenu les rites à son égard (cérémonies du Double-Dix, conservation de monuments). Néanmoins, pour une partie croissante de la population, notamment parmi les jeunes générations nées à Taïwan, Sun Yat-sen apparaît davantage comme un personnage de l’histoire chinoise que comme un héros directement lié à l’expérience taïwanaise. Il faut rappeler que Sun Yat-sen n’a jamais mis les pieds à Taïwan de son vivant – l’île était sous domination japonaise pendant toute sa carrière révolutionnaire. Ainsi, les événements qu’il a initiés (la révolution de 1911, la création de la République de Chine) n’ont pas impliqué les Taïwanais de l’époque. Cette distance historique fait que la vénération quasi religieuse dont Sun faisait l’objet sous le régime du KMT s’est estompée dans l’opinion publique, surtout depuis l’essor du pluralisme politique. Son image reste globalement positive et respectée en tant que père de la démocratie chinoise, mais elle est moins affectivement chargée pour les Taïwanais d’aujourd’hui, qui valorisent davantage les acteurs de leur propre combat pour la démocratie dans les années 1980-1990 (tels que Chiang Ching-kuo, Lee Teng-hui ou les militants locaux). En résumé, Sun Yat-sen est passé du statut d’icône quasi intouchable du régime à celui de figure historique honorée mais discutée, à mesure que Taïwan forge sa propre narration nationale.

Influence sur le nationalisme chinois et le Kuomintang

Sun Yat-sen a durablement influencé la pensée politique chinoise par son idéologie du nationalisme républicain, au point que ses idées continuent de se répercuter à la fois en Chine continentale et à Taïwan. Il est l’auteur de la doctrine des Trois principes du peuple (San Min Zhu Yi), synthèse de son projet pour la Chine moderne : le nationalisme (indépendance et unité de la nation chinoise face aux empires étrangers), la souveraineté populaire (droits politiques du peuple et aspiration à la démocratie) et le bien-être du peuple (justice sociale et développement économique). Inspiré par la devise républicaine française « Liberté, Égalité, Fraternité », Sun voyait dans ces trois piliers le moyen de libérer la Chine de la féodalité et de la domination coloniale, et d’en faire un État-nation prospère et respecté. Son principe de nationalisme prônait l’unité de tous les groupes ethniques au sein d’une même nation chinoise (Zhonghua minzu), dépassant les clivages Han, Mandchous, Mongols, etc., et la fin des traités inégaux imposés par les puissances occidentales et le Japon. Le deuxième principe, la souveraineté du peuple, posait les bases d’un régime républicain constitutionnel : Sun Yat-sen préconisait d’ailleurs une période de « tutelle politique » pour éduquer les citoyens avant l’instauration d’une pleine démocratie – argument utilisé plus tard par le KMT pour justifier son régime transitoire autoritaire. Enfin, le volet bien-être du peuple reflétait des préoccupations proto-sociales : réforme agraire pour donner la terre aux paysans, développement industriel, et mesures sociales (éducation, emplois, droits des travailleurs) afin d’élever le niveau de vie général en évitant les excès du capitalisme sauvage.

Cette philosophie politique de Sun Yat-sen a profondément marqué le Kuomintang (KMT), le parti nationaliste qu’il a cofondé et dirigé. Le KMT a intégré les Trois principes du peuple comme socle de son programme et de sa constitution interne. Encore aujourd’hui, à Taïwan, la Constitution de la République de Chine se réclame explicitement de ces principes. Sous la direction de Chiang Kai-shek, puis de son fils, le KMT s’est présenté comme le continuateur fidèle de la « ligne de Sun Yat-sen ». Chaque congrès du parti débutait par un hommage au portrait de Sun et par la récitation de son testament politique. L’hymne national de la République de Chine (Taïwan) lui-même, intitulé San Min Chu-i, est tiré d’un discours de Sun et exalte la mise en œuvre de ses trois principes pour sauver la Chine. Au-delà des symboles, l’influence de Sun Yat-sen s’est traduite par des politiques concrètes : la Northern Expedition (Expédition du Nord) lancée en 1926-1928 par Chiang Kai-shek pour réunifier militairement le pays se présentait comme l’accomplissement du rêve de Sun d’une Chine unifiée sous un gouvernement central fort. De même, à Taïwan, quand le régime nationaliste a initié dans les années 1950 une réforme agraire en distribuant des terres aux fermiers, il l’a fait au nom du principe de bien-être du peuple cher à Sun Yat-sen.

Sur le plan du nationalisme chinois, Sun Yat-sen est souvent considéré comme l’un des pères du sentiment national chinois moderne. Son appel à renverser la dynastie « étrangère » mandchoue en restaurant le pouvoir au peuple Han a catalysé le patriotisme anti-impérial qui couvait depuis les guerres de l’opium. Il a redonné fierté et dignité à une nation humiliée par les colonisations, en popularisant l’idée que la Chine pouvait se relever en adoptant les recettes du monde moderne (science, démocratie, industrialisation) sans renier son identité. Ce nationalisme inclusif prôné par Sun a été récupéré et adapté par divers courants politiques chinois au XXème siècle : les nationalistes du KMT l’ont porté comme étendard face aux communistes et face au Japon, tandis que les communistes de Mao ont également revendiqué lutter contre « l’impérialisme » étranger dans la continuité de Sun Yat-sen. Ainsi, malgré l’opposition farouche entre le PCC et le KMT après 1927, les deux camps se sont réclamés héritiers de Sun quant à l’objectif de construire une Chine forte et indépendante. Encore aujourd’hui, les dirigeants de Pékin comme de Taipei évoquent régulièrement Sun Yat-sen dans leurs discours historiques, chacun à leur manière : à Pékin on salue un patriote révolutionnaire préfigurant la libération communiste, à Taipei on honore le fondateur de la première république et l’idéologue de la démocratie chinoise. Cette référence transpartisane fait de Sun un symbole rare d’unité dans l’histoire fracturée de la Chine moderne.

Du côté du Kuomintang à Taïwan, l’influence de Sun Yat-sen demeure particulièrement vivace dans la culture politique du parti. Les cadres et membres du KMT continuent de se voir comme les gardiens de l’héritage du « Docteur Sun » (surnom respectueux souvent employé). Par exemple, lors du 159ème anniversaire de sa naissance en 2024, le président du parti Eric Chu a déclaré devant la statue de Sun Yat-sen : « Nous sommes tous ses disciples et nous suivons l’intention originelle de sa révolution ». Ces mots reflètent la place quasi filiale qu’occupe Sun dans l’imaginaire du KMT. Même après des décennies d’exil à Taïwan, le parti continue d’adapter son programme (notamment sur la « revitalisation de la Chine ») en se référant aux principes de Sun. En somme, sur le plan idéologique et identitaire, Sun Yat-sen est la figure tutélaire qui a défini le cadre du nationalisme chinois du XXème siècle, et son empreinte se fait sentir aussi bien dans la pensée politique taïwanaise actuelle que dans celle de la Chine continentale.

Tableau récapitulatif des apports politiques de Sun Yat-sen

Apport politique majeurDescription et impact
Renversement de l’empire Qing (1911)Leader idéologique de la Révolution Xinhai qui met fin à plus de 2 000 ans de monarchie en Chine, ouvrant la voie à un régime républicain moderne.
Création de la République de Chine (1912)Co-fondateur de la première république chinoise et premier président provisoire du nouveau régime en 1912, posant les bases d’un État fondé sur la souveraineté du peuple.
Fondation du Kuomintang (KMT)Établissement du Parti nationaliste chinois, qui deviendra le parti au pouvoir en République de Chine et le principal véhicule de son idéologie et de son action politique.
Doctrine des “Trois principes du peuple”Élaboration d’une philosophie politique nationaliste, démocratique et sociale (nationalisme, droits du peuple, bien-être du peuple) qui a guidé les politiques du KMT et inspiré tant la ROC (Taïwan) que la RPC.
Promotion du nationalisme chinois moderneDéfinition d’une identité nationale chinoise unifiée et anti-impérialiste, encourageant la résistance à la domination étrangère et la solidarité de toutes les ethnies chinoises (Zhonghua minzu).
Vision d’une démocratie constitutionnelleConception d’un plan en étapes pour la Chine (période de tutelle puis démocratie parlementaire), préfigurant l’instauration d’un régime constitutionnel finalement réalisé à Taïwan des décennies plus tard.

Commémorations et monuments dédiés à Sun Yat-sen à Taïwan

À Taïwan, la mémoire de Sun Yat-sen est entretenue par de nombreux monuments, lieux publics et symboles du quotidien qui témoignent de l’importance historique qu’on lui accorde. Le site commémoratif le plus emblématique est sans doute le Mémorial national Sun Yat-sen à Taipei, un vaste édifice érigé en 1972 au cœur de la capitale. Ce mémorial, reconnaissable à son architecture à toit jaune et à son parvis monumental, abrite un musée retraçant la vie de Sun ainsi qu’une statue imposante du « Père de la Nation » dans son hall d’honneur. Chaque jour, une cérémonie solennelle de relève de la garde y a lieu devant la statue, attirant les touristes et rappelant le respect officiel toujours rendu à Sun Yat-sen. Le mémorial sert également de centre culturel et de salle de spectacles, soulignant comment l’héritage de Sun fait partie intégrante de l’espace public taïwanais.

Les références à Sun Yat-sen se retrouvent également dans la toponymie et la vie quotidienne à Taïwan. Par exemple, la principale autoroute traversant l’île du nord au sud, l’Autoroute nationale 1, est officiellement nommée « Autoroute Sun Yat-sen » en son honneur – un clin d’œil au rôle fondateur qu’il a joué pour la République de Chine. De même, de nombreuses villes taïwanaises possèdent une artère centrale appelée avenue Zhongshan (du nom chinois de Sun), héritage de l’époque du KMT où baptiser les rues principales du nom du “Père de la Nation” était courant. La capitale Taipei compte même un district Zhongshan, toponyme qui rappelle explicitement Sun Yat-sen dans le paysage urbain.

Sur le plan monétaire, Sun Yat-sen figure sur les billets de banque taïwanais, ce qui illustre à quel point son effigie reste un symbole national. Le billet de 100 dollars taïwanais (NT$), l’un des plus utilisés, porte son portrait gravé en rouge, perpétuant ainsi sa présence symbolique dans la vie de tous les jours à travers les échanges économiques. Historiquement, d’anciennes pièces de monnaie et divers billets émis par le gouvernement de la République de Chine arboraient également son image, renforçant l’association entre Sun et l’État. Encore aujourd’hui, avoir Sun Yat-sen dans son portefeuille est pour ainsi dire la norme à Taïwan, un fait anodin qui témoigne de la place qu’il occupe dans l’identité visuelle de la nation.

Le monde de l’éducation et de la culture n’est pas en reste. À Kaohsiung, dans le sud de Taïwan, l’Université nationale Sun Yat-sen (NSYSU) porte son nom depuis sa fondation en 1980, symbolisant l’idéal éducatif et modernisateur qu’il prônait. Des parcs, des écoles et des salles de réunion baptisés “Sun Yat-sen” existent un peu partout sur l’île. De plus, le 12 mars (date anniversaire de sa mort) a été désigné « Journée de l’Arbor Day » à Taïwan, mêlant commémoration de Sun – qui encourageait la revitalisation de la nation, y compris par la plantation d’arbres – et sensibilisation environnementale. Si cette journée n’est pas fériée, des cérémonies de dépôt de gerbes ou des évocations historiques ont lieu chaque année à cette occasion, souvent organisées par le Kuomintang et les associations d’anciens combattants, pour rappeler la vision de Sun Yat-sen pour une “Chine revitalisée”.

Enfin, on trouve de nombreuses statues de Sun Yat-sen à travers Taïwan, érigées principalement durant la période du parti unique. Outre la statue trônant dans le mémorial de Taipei, d’autres sculptures le représentant debout ou assis ornent des places publiques, des parcs ou l’enceinte d’anciennes institutions du KMT. Ces monuments étaient jadis fleuris lors des commémorations officielles. Par exemple, une statue de Sun se dressait dans le parc Tang De-chang à Tainan ou encore devant certaines mairies et écoles. L’objectif affiché de ces monuments était de rappeler l’héritage national commun à tous les Chinois de Taïwan et du continent. Si la plupart de ces statues subsistent aujourd’hui, leur place fait parfois l’objet de réévaluations (comme on le verra plus loin). Quoi qu’il en soit, à travers la toponymie, la monnaie, les infrastructures et les lieux de mémoire, Sun Yat-sen demeure omniprésent dans le paysage taïwanais, reflet d’une mémoire officielle qui l’inscrit au panthéon des grands hommes honorés par la nation.

Débats actuels autour de son héritage à Taïwan

L’héritage de Sun Yat-sen à Taïwan fait l’objet de débats passionnés, révélateurs des tensions identitaires entre l’attachement à l’histoire chinoise et l’affirmation d’une identité spécifiquement taïwanaise. D’un côté, Sun Yat-sen est une figure fondatrice de la République de Chine, entité politique toujours en vigueur à Taïwan ; à ce titre, il est enseigné dans les manuels d’histoire et honoré lors des cérémonies nationales comme le Double-Dix (la fête nationale du 10 octobre célèbre le soulèvement de 1911 qu’il a inspiré). D’un autre côté, une partie de la population – en particulier les Taïwanais de souche dont les familles étaient sur l’île bien avant 1949 – se sent peu concernée par cet héritage venu d’ailleurs. Pour ces derniers, Sun Yat-sen représente avant tout le père de la Chine continentale moderne. Son visage bienveillant dans les bureaux officiels rappelle que le gouvernement taïwanais actuel se veut l’héritier d’une révolution menée par des Chinois du continent, sans lien direct avec l’histoire locale de Taïwan (qui fut japonaise de 1895 à 1945). Ainsi, certains Taïwanais considèrent que continuer à vouer un culte à Sun Yat-sen revient à nier la spécificité de l’histoire de l’île et à maintenir la fiction que Taïwan et la Chine forment une seule même entité politique et culturelle. Cette vision est surtout portée par les tenants de la mouvance “vertes” pro-indépendance, pour qui une identité nationale taïwanaise distincte doit primer sur le récit sino-centré du KMT.

Les symboles liés à Sun Yat-sen se retrouvent naturellement au cœur de ces controverses identitaires. Depuis la levée de la loi martiale, la société civile et les partis pro-indépendance ont progressivement remis en question la nécessité de préserver partout les portraits et statues de Sun. Par exemple, le grand portrait de Sun Yat-sen qui domine l’hémicycle du Parlement (Législative Yuan) a fait l’objet de polémiques. En 2020 et 2022, des députés du Parti démocrate progressiste (DPP) ont proposé de cesser d’imposer par la loi la présence du portrait de Sun dans les bâtiments publics et lors des prestations de serment des officiels. Ils estiment qu’une démocratie moderne ne devrait pas afficher de culte de la personnalité pour un dirigeant du passé, fût-il respecté, au sein de ses institutions. Ces élus rappellent que la plupart des pays démocratiques n’exposent pas le portrait d’un “père de la patrie” au fronton de leur Parlement, et considèrent cette pratique comme un héritage anachronique de l’autoritarisme du KMT. En mai 2022, lors d’une échauffourée entre députés rivaux, le portrait de Sun Yat-sen au Parlement a même été endommagé accidentellement, relançant le débat : des voix ont ironisé que même le KMT, en laissant trouer l’image de son « icône sacrée », montrait qu’il n’était plus si attaché à ce symbole. Malgré ces appels, retirer la photo de Sun n’est pas une mince affaire : il faudrait modifier les textes de loi qui depuis des décennies imposent l’exposition du drapeau national et du portrait de Sun dans les institutions. Le KMT et ses partisans s’y opposent vigoureusement, arguant que Sun Yat-sen appartient à l’histoire commune et qu’il n’est pas une figure polémique. Pour eux, le déboulonnage de Sun serait un affront gratuit à la tradition républicaine.

Des incidents autour des statues de Sun Yat-sen ont également illustré ces divergences de mémoire. En 2014, un groupe militant pour le référendum sur l’indépendance de Taïwan a renversé une statue de Sun dans un parc de Tainan lors d’une manifestation. Les activistes ont justifié leur geste en affirmant que l’espace public taïwanais devait accorder la primauté aux figures locales (comme Tang De-chang, héros taïwanais du 28 février 1947 dont le parc porte le nom) plutôt qu’à un révolutionnaire chinois n’ayant jamais mis les pieds sur l’île. Cet acte a choqué les élus du KMT, pour qui Sun Yat-sen restait au-dessus des conflits partisans. L’administration municipale, prise entre deux feux, a d’abord envisagé de restaurer la statue, avant de suspendre le projet face à l’opposition d’associations prônant la “justice transitionnelle” (visant à retirer les symboles de l’époque autoritaire). Ce cas illustre comment Sun Yat-sen, longtemps considéré comme intouchable, est désormais sujet à débat dans l’espace public taïwanais. D’autres statues de Sun, quoique généralement respectées, ont parfois été la cible de vandalisme sporadique par des extrémistes, dans le sillage du mouvement de “dé-sinisation” qui a également visé des symboles plus controversés comme les monuments à Chiang Kaï-shek. Toutefois, il convient de noter que Sun Yat-sen ne suscite pas le même rejet que Chiang : son image n’est pas associée à la répression ou à la dictature à Taïwan, ce qui explique que la majorité des Taïwanais n’éprouvent pas d’hostilité personnelle envers lui. Le débat porte plutôt sur la place à accorder aujourd’hui aux références à la Chine continentale dans l’identité taïwanaise.

Un autre aspect des discussions actuelles concerne la perception des jeunes générations face à Sun Yat-sen et ce qu’il représente. Il apparaît que la jeunesse taïwanaise, en particulier celle née après les années 1990, est de moins en moins sensible à la symbolique du “Père de la Chine”. Les célébrations du Double-Dix, par exemple, peinent à mobiliser l’enthousiasme des moins de 30 ans : difficile pour eux de se sentir concernés par une insurrection de 1911 à Wuhan, alors que leurs propres repères historiques sont plutôt la levée de la loi martiale en 1987, les premières élections libres des années 1990, ou encore le mouvement des Tournesols de 2014. Dans les sondages, les jeunes Taïwanais se définissent majoritairement comme “taïwanais” plutôt que “chinois”, reflétant un glissement identitaire. Pour autant, cela ne signifie pas qu’ils méprisent Sun Yat-sen : ils le respectent généralement comme un personnage historique faisant partie du cursus scolaire, mais sans lien affectif fort. On assiste ainsi à un décalage générationnel : là où les grands-parents voient en Sun un héros qui a changé le destin de la Chine (et brandent volontiers son portrait lors des fêtes nationales), les petits-enfants y voient surtout un chapitre de l’histoire parmi d’autres, parfois instrumentalisé à des fins politiques. Certains jeunes militants pro-indépendance n’hésitent pas à caricaturer Sun Yat-sen comme un “nationaliste han” dépassé, tandis que d’autres soulignent au contraire son côté visionnaire et modéré par rapport à la violence de Mao ou de Chiang. Le personnage de Sun est donc réévalué de manière plus critique et diversifiée par la nouvelle génération, sans toutefois susciter de rejet massif.

Ces débats autour de Sun Yat-sen s’inscrivent dans un contexte plus large de réconciliation avec le passé et de construction identitaire à Taïwan. Depuis la transition démocratique, le pays cherche à trouver un équilibre entre préserver le patrimoine historique issu de la République de Chine et affirmer sa propre spécificité. Le traitement de l’héritage de Sun Yat-sen est délicat, car il touche à la question sensible de la relation avec la Chine populaire. Pékin surveille en effet de près tout signe de « dé-sinisation » à Taïwan et pourrait exploiter politiquement le retrait de symboles comme Sun Yat-sen pour accuser Taipei de se diriger vers l’indépendance formelle. Consciente de cet enjeu, une grande partie de la classe politique taïwanaise, même du côté indépendantiste modéré, reste prudente. AInsi, la présidente Tsai Ing-wen (du DPP), bien qu’incarnant une ligne pro-identité taïwanaise, n’a pas fait retirer les portraits de Sun Yat-sen dans son bureau ni aboli les cérémonies en son honneur. Les symboles ont donc été en grande partie maintenus, mais souvent “redéfinis” : Tsai a ainsi prononcé ses discours du Double-Dix en mettant l’accent sur les valeurs démocratiques et la prospérité de Taïwan plutôt que sur l’obsession de la réunification chinoise, redonnant à Sun Yat-sen une image de champion des idéaux démocratiques universels plus que de nationaliste chinois.


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À propos de l'auteur

  • Luc

    Fondateur du webzine francophone Insidetaiwan.net
    Consultant en développement international 🚀des entreprises en Asie du Sud-Est
    #Taiwan #Tourisme #Société #Culture #Business #Histoire #Foodie

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