Pieter Nuyts (1598–1655) incarne les contradictions du colonialisme néerlandais en Asie au XVIIᵉ siècle. À la fois explorateur, diplomate et administrateur, il participa à l’expansion de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC), avant de devenir l’un de ses gouverneurs les plus controversés à Formose (Taïwan). Son mandat (1627–1629) illustre les tensions entre ambitions commerciales européennes et réalités politiques asiatiques.
De l’exploration à l’ambassade : un savant ambitieux
Originaire de Middelburg, formé à l’université de Leyde, Pieter Nuyts appartenait à la nouvelle génération d’intellectuels marchands du Siècle d’or néerlandais. En 1626, il participa à une expédition maritime qui cartographia pour la première fois la côte sud de l’Australie, donnant son nom à la région du Landt van Pieter Nuyts. Cet épisode fit de lui une figure prometteuse au sein de la VOC.
L’année suivante, il fut nommé ambassadeur auprès du shōgun Tokugawa Iemitsu au Japon et simultanément gouverneur de Formose. Cette double mission visait à renforcer l’influence commerciale néerlandaise en Asie orientale. Mais son arrogance diplomatique et son incapacité à composer avec les sensibilités japonaises entraînèrent un échec cinglant : le shōgun refusa de le recevoir, un revers humiliant pour la VOC.
Anecdote : Lors de cette mission, le marchand japonais Hamada Yahei parvint à le discréditer en présentant de faux chefs autochtones de Formose au shōgun, semant la confusion sur la légitimité du pouvoir local.
Gouverneur de Formose : tensions, violences et scandales
De retour à Fort Zeelandia, Nuyts chercha à imposer la domination néerlandaise sur le commerce régional. Il fit emprisonner le négociateur chinois Zheng Zhilong pour forcer une ouverture commerciale avec la Chine. Ce geste autoritaire alimenta les tensions entre la colonie néerlandaise et les puissances asiatiques, sans aboutir à un réel succès économique.
Son administration fut également marquée par des relations tumultueuses avec les populations autochtones. Méprisant les Taïwanais qu’il qualifiait de « peuple simple et ignorant », il manqua de diplomatie, déclenchant en 1629 un massacre à Mattau où 60 soldats néerlandais furent tués. Cet événement justifia plus tard la campagne militaire de « pacification » de 1635–1636 menée par ses successeurs.
Enfin, Nuyts fit scandale pour ses liaisons avec des femmes autochtones et son enrichissement personnel par le commerce privé, en violation des règles de la VOC. Ces accusations contribuèrent à ternir durablement son image dans les archives coloniales.
Anecdote : Plusieurs récits affirment qu’il faisait cacher un interprète sous son lit pour traduire ses conversations avec ses amantes formosanes.
L’affaire Hamada Yahei et la chute de Nuyts
Le conflit entre Nuyts et les marchands japonais installés à Tainan tourna à la crise diplomatique. Refusant de payer les taxes imposées par les Néerlandais, Hamada Yahei fut arrêté par Nuyts, qui fit saisir ses navires. En représailles, le Japonais prit Nuyts en otage à Fort Zeelandia, obtenant sa libération contre la restitution de ses biens et la promesse d’un passage sûr vers Nagasaki.
Cette affaire eut des conséquences graves : le Japon rompit ses relations commerciales avec la VOC et exigea l’extradition de Nuyts pour le juger. Pour rétablir ses relations avec Edo, la compagnie accepta, livrant son propre gouverneur — une humiliation diplomatique sans précédent.
Emprisonné plusieurs années au Japon, Nuyts rédigea des traités savants inspirés de ses lectures de Cicéron et Sénèque. Il fut finalement libéré en 1636, mais la VOC le destitua et l’exclut définitivement de ses rangs.
Fin de vie et héritage historique
Rentré aux Pays-Bas, Nuyts se retira à Hulst, où il devint plusieurs fois bourgmestre. Il tenta de réhabiliter son nom et récupéra les amendes infligées par la VOC. Il mourut en 1655, laissant derrière lui une réputation ambivalente : celle d’un savant aventureux, mais aussi d’un administrateur autoritaire et imprudent.
Son nom survit aujourd’hui dans plusieurs lieux d’Australie méridionale (Nuyts Archipelago, Cape Nuyts) et dans la flore avec la Nuytsia floribunda, symbole inattendu d’un homme aussi fascinant que controversé. Durant la période coloniale japonaise (1895–1945), les manuels scolaires de Taïwan en firent le prototype de l’Européen arrogant, incapable de comprendre l’Asie.
Anecdote : Dans les manuels scolaires japonais de l’époque, Nuyts était présenté comme un « tyran étranger méprisant les droits des Japonais et des indigènes ».
🔎 Points à retenir
- 📜 Explorateur et gouverneur, Nuyts joua un rôle majeur dans la première cartographie du sud de l’Australie.
- ⚔️ Son mandat à Formose fut marqué par les tensions avec les Japonais, les Chinois et les autochtones.
- 🕊️ L’affaire Hamada Yahei provoqua une rupture diplomatique entre la VOC et le Japon.
- 🏛️ Son extradition à Edo symbolisa la dépendance hollandaise vis-à-vis des puissances asiatiques.
- 🌏 Sa mémoire reste ambivalente, entre exploration scientifique et arrogance coloniale.
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