Le poisson-lait représente une espèce significative dans l’aquaculture de Taïwan, se distinguant par sa haute teneur en protéines. Cette espèce a joué un rôle crucial dans l’alimentation des premiers colons chinois de l’ethnie Han. Il est omniprésent dans la gastronomie locale, allant du plat traditionnel « poisson-lait à cinq ingrédients » – une préparation culinaire intégrant deux sortes de champignons, des carottes, des pousses de bambou et des hémérocalles orange, finement râpés ou coupés – jusqu’au congee de poisson-lait, un en-cas populaire.
Et il est à noté que les industries textiles de Tainan exploitent les résidus d’écailles de poisson pour créer des fibres fonctionnelles. Ainsi, le poisson-lait s’inscrit non seulement dans le patrimoine culinaire, mais aussi dans les innovations écologiques et les récits culturels de l’île.
Un poisson aux noms multiples
Le poisson-lait, répandu dans les mers tropicales et subtropicales de l’océan Indien et du Pacifique occidental, est scientifiquement désigné sous le nom latin Chanos chanos. Sur le plan taxonomique, c’est l’unique espèce existante de la famille des Chanidae.
Huang Chih-yang, professeur associé au département d’aquaculture de l’Université Nationale Océanique de Taïwan, explique l’origine du nom chinois de ce poisson, shimuyu (« poisson aux yeux de poux »). Selon lui, la face du poisson-lait est dotée de deux paupières adipeuses, transparentes à l’état frais, mais qui deviennent blanches et laiteuses une fois cuites. D’où les appellations alternatives telles que « poisson à l’œil ombré » (zhemuyu) et « œil à la membrane ombrée » (mozhemu).
Autrefois, avant la disponibilité de l’alimentation spécialisée, ces poissons se nourrissaient d’algues au fond des étangs peu profonds, d’où le surnom « poisson aux algues » (haicaoyu). Par la suite, ils ont été nommés de diverses manières, notamment « poisson-lait » (niunaiyu), « poisson à la pensée tendre » (simuyu) et « poisson de la tranquillité » (anpingyu). Lors de leur exportation en Chine, ils sont connus sous le nom de « number-one scholar fish » (zhuangyuanyu). Cheng Weichung, chercheur à l’Academia Sinica, a émis l’hypothèse, basée sur des documents historiques, que le nom taïwanais sat-bák-hî pour shimuyu pourrait dériver de l’espagnol sábalo, introduit à Taïwan par des Chinois de Manille.
Une autre légende raconte qu’il a été nommé « poisson Koxinga » après l’arrivée à Taïwan de Zheng Chenggong, également connu sous le nom de Koxinga, qui signifie « Seigneur du nom de famille impérial ». Ce poisson se distingue par l’étonnante variété de ses appellations à Taïwan.
Du poisson sauvage au produit d’aquaculture
A Taïwan, l’élevage du poisson-lait est concentré principalement dans les zones chaudes comme Yunlin, Chiayi, Tainan et Kaohsiung. Initialement, les jeunes poissons devaient être capturés dans les estuaires des rivières. Leur vente exigeait la présence d’un « compteur de poissons » neutre, donnant naissance aux « chansons de comptage de poissons », élément de la culture locale. Aujourd’hui, on peut encore entendre ces chants rythmés sur YouTube.
Cependant, ces scènes deviennent de plus en plus rares. En 1983, Lin Lietang, surnommé « le père du poisson-lait à Taïwan », a réussi à élever en masse ces poissons pour la première fois.
En parcourant la route provinciale 61, vous pouvez voir les étangs de pisciculture des deux côtés de la route. À l’origine, les poissons-lait étaient élevés dans des étangs peu profonds, permettant au soleil de favoriser la croissance des algues, nourriture principale de ces poissons. Ces dernières décennies, des étangs plus profonds, d’environ deux mètres, ont été aménagés pour maintenir la chaleur, car ces poissons sont sensibles au froid, et pour accueillir davantage de poissons.
Les poissons consommés à Taïwan ont généralement entre quatre et huit mois et pèsent environ 900 grammes à la vente. Mais saviez-vous que le plus grand poisson-lait du monde peut mesurer jusqu’à 180 centimètres ?
Bien que les citadins aient perdu le contact avec les rythmes naturels, les agriculteurs et pêcheurs s’adaptent encore aux saisons. Traditionnellement, dans la région Chiayi-Tainan, les éleveurs peuplent leurs étangs en avril et attendent l’été et l’automne pour la maturation, récoltant les poissons de juillet à novembre. À Kaohsiung, où le climat est légèrement plus chaud, les poissons peuvent rester dans les étangs pendant l’hiver et être récoltés en avril. Cette méthode permet aux Taïwanais de savourer du poisson-lait toute l’année, même hors de la principale saison de pêche, bien que les prix soient plus élevés.
Observations anthropologiques au bord des étangs
Chaque étang est muni de deux ou trois aérateurs à palettes. Car les poissons-lait sont très vulnérables au manque d’oxygène, une carence qui peut entraîner leur mort rapide. Pour cette raison, de nombreux pisciculteurs effectuent des rondes matinales, dès quatre ou cinq heures, afin de vérifier l’état de leurs étangs. En juillet, certains vont jusqu’à installer des abris temporaires à proximité.
Et vous pourrez observer la présence d’oiseaux autour des étangs. En effet les poissons malades ou décédés ont tendance à flotter vers les bords, où ils sont alors consommés par les oiseaux. De ce fait, le comportement de ces oiseaux est un indicateur important à surveiller.
Le savoir caché des zones de pisciculture
Les aquaculteurs ne découvrent qu’au petit matin quels étangs seront exploités ce jour-là. Les chauffeurs de camion, qui distribuent les poissons aux marchés de gros durant la nuit, observent aussi comment se déroule la vente. Cette observation permet au commerçant de décider, dès le lendemain matin, de la quantité de fruits de mer à récolter.
L’aquaculture du poisson-lait à Taïwan s’est spécialisée dans une division du travail minutieuse, certains élèvent les poissons tandis que d’autres s’occupent de la récolte, une pratique établie depuis longtemps. Différentes entreprises se chargent de l’incubation et de l’éclosion des œufs de poissons, de l’élevage des jeunes alevins, ainsi que de l’alimentation et des soins des poissons adultes. Les propriétaires d’étangs ne sont responsables que de l’élevage, tandis que les marchands se chargent de la récolte.
Pour la récolte, les travailleurs installent d’abord leur équipement sur le site, érigent des tentes pour l’ombre et mettent en place des bassins temporaires en toile. Deux travailleurs naviguent le long de l’étang sur un radeau et déploient un filet dans l’eau, tandis que d’autres, depuis la rive, commencent à tirer ce filet, dirigeant les poissons vers un autre filet rectangulaire préalablement installé. Tôt le matin, vers 6 ou 7 heures, les ouvriers agitent l’eau pour effrayer les poissons, les incitant à vider leurs intestins. Un poisson à l’intestin vide se conserve mieux.
Les poissons sont ensuite hissés hors de l’étang à l’aide d’une grue, placés dans des paniers et triés par le personnel du commerçant selon leur taille. Les plus petits poissons sont isolés et envoyés à une usine de transformation pour être découpés en filets et transformés en steaks de poitrine. Les autres poissons sont conditionnés dans des conteneurs en polystyrène, recouverts de glace et expédiés le jour même aux marchés de gros.
Les caisses de poissons-lait récoltés pendant la journée sont acheminées par camion vers 16 heures vers les marchés de gros du nord de Taïwan. Ceux récoltés durant la nuit ou au petit matin sont principalement destinés aux marchés locaux ou du sud de Taïwan. Traditionnellement, les travailleurs plient les poissons lors de leur emballage dans les paniers, un signe distinctif de leur fraîcheur pour les acheteurs sur les marchés.
Un poisson qui fait vivre de nombreuses familles
A l’usine de transformation de poissons, Sea Ground Enterprise Company, vous pourrez découvrir comment le poisson est traité. Et notamment les étapes du processus : d’abord, les écailles sont retirées mécaniquement, puis les têtes sont coupées, la chair du ventre enlevée, et enfin, les poissons sont éviscérés et filetés. Chaque ouvrier, muni d’un petit couteau, occupe un poste spécifique où il peut rapidement découper et parer un steak de poitrine en moins de trente secondes.
Certains employés utilisent des cuillères en métal pour gratter la chair sans arêtes, une partie de celle-ci étant destinée à la fabrication de boulettes de poisson. Même les déchets sont récupérés et vendus pour produire de la nourriture pour animaux. Ainsi, aucune partie du poisson n’est gaspillée. La transformation du poisson-lait nécessite une main-d’œuvre importante, elle génère de nombreux emplois, soutenant ainsi de nombreuses familles à Taïwan.
La saveur du poisson-lait
Chaque année, Taïwan produit entre 60 000 et 70 000 tonnes de poisson-lait, dont 80 % sont consommés sur le marché local. Le poisson-lait jouit d’une grande popularité parmi la population. Non seulement il est produit localement, mais il a aussi profondément marqué la culture culinaire de l’île. Les méthodes de préparation de ce poisson reflètent les coutumes et préférences alimentaires propres à chaque région de Taïwan. Dans la région métropolitaine de Taipei, les menus mettent en avant des plats tels que le filet de poisson-lait et le congee. Cependant, dans le sud-ouest de l’île, principal lieu de production et de consommation du poisson-lait, la variété des plats proposés est bien plus grande.
Le long de la route provinciale 17, près de la côte sud-ouest, de nombreux stands de nourriture proposent des plats tels que « du porc braisé sur du riz » et de la « soupe de poisson frais », avec le poisson-lait souvent utilisé dans cette dernière. Le processus typique de commande des clients : une tête de poisson-lait braisée en entrée, suivie d’un plat principal et d’une soupe. À Tainan, les restaurateurs proposent souvent du gingembre râpé ou des tranches de pastèque marinée pour accompagner la soupe, conférant ainsi des textures et saveurs uniques. Les clients peuvent aussi choisir d’agrémenter leur repas de peau de poisson ébouillantée ou de viscères frites.
Les connaisseurs de fruits de mer évitent souvent de commander de la poitrine de poisson, en raison des méthodes de préparation et d’assaisonnement limitées. Ils recommandent particulièrement la tête et les viscères pour leur goût exquis. Bien que la tête du poisson-lait contienne peu de viande, le fait de la savourer avec la bouche et la langue, pour en extraire chaque particule de viande, de collagène, de graisse et de jus, procure une expérience gustative intense. Pour ceux qui n’ont pas peur des viscères, il es conseillé d’essayer ce plat, qui comprend généralement les intestins, le foie et l’estomac, chacun ayant une texture unique. L’estomac est croustillant, les intestins sont doux et moelleux, et le foie est délicat. Ce plat peut être savouré bouilli avec une sauce soja au wasabi ou frit et servi avec du sel et du poivre.
Les Taïwanais expatriés regrettent souvent le steak de poitrine de poisson-lait frit, tandis que la recette traditionnelle avec de l’ananas fermenté et des graines de soja noir évoque la nostalgie. Récemment, de jeunes chefs créatifs ont commencé à cuisiner les filets de poisson-lait avec la nageoire dorsale jusqu’à obtenir une texture brune et croustillante, parfaite pour accompagner des boissons alcoolisées. Certains utilisent même le poisson-lait entier pour en extraire une essence vendue comme complément alimentaire. De la tête à la queue, le poisson-lait offre une multitude d’utilisations intéressantes !
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