Ce samedi 16 septembre aura lieu le World Clean Up Day, journée mondiale du nettoyage de la planète. Cette journée réunit des millions de bénévoles, de gouvernements et d’organisations, dans 197 pays et territoires, pour s’attaquer à la crise mondiale des déchets mal gérés et contribuer à créer un monde nouveau et plus durable. A l’occasion de cette journée nous avons rencontré, Alexandre Levy, entrepreneur français basé à Taipei.
Il s’intéresse profondément à la défense de l’environnement et s’est engagé dans divers projets écologiques. L’un de ses investissements personnels majeurs est son implication avec la Fresque du Climat, un atelier interactif destiné à sensibiliser les gens aux enjeux climatiques.
Peux-tu te présenter brièvement à nos lecteurs d’Insidetaiwan.net ?
Bonjour et merci pour cette interview. J’ai grandi près de Paris, études de commerce et de chinois. J’ai passé 15 ans en Chine continentale (essentiellement Pékin et Kunming) avant de m’installer avec ma famille à Taipei en 2018. Je suis entrepreneur, je monte des projets parfois à but lucratif, parfois comme bénévole.
Qu’est-ce qui t’a amené à Taiwan, et comment as-tu trouvé ta place en tant qu’expatrié ici ?
Je suis venu à Taiwan car mon épouse et moi avions besoin de changer d’air, après 15 ans en Chine continentale pour moi, le cadre qu’offre Taiwan pour la santé, la sécurité, l’éducation, la nature nous a séduits ; tout en gardant un contexte culturel qui nous est familier.
Comment as-tu commencé à t’intéresser à la défense de l’environnement, et quelles ont été tes motivations principales ?
J’ai quitté Pékin en 2013 lorsque la pollution de l’air était à son paroxysme. Avec mon épouse, nous avons alors décidé de nous installer à Kunming dans le Sud-Ouest de la Chine, à 2000m d’altitude. Ce premier « ralentissement » nous a fait beaucoup de bien. Puis les lectures (Yuval Noah Harari, Bruno Latour…), bien sûr les conférences de Jancovici, Bihouix… J’ai fait une overdose de mon mode de vie, orienté business à prendre l’avion 50 fois par an. J’ai alors commencé progressivement à faire des changements radicaux dans ma vie (végétarien, moins d’avion, plus de temps en famille).
Au même moment, je voyais mes amis en France évoluer vers des modes de vie bas carbone. Je me suis complètement identifié au documentaire de mon ami Marc de La Menardière « En quête de sens« . Ma motivation maintenant, c’est d’agir. Je pense sincèrement que si chacun « change » progressivement à son niveau, nous pouvons éviter que le pire n’advienne.
Qu’est-ce que la Fresque du climat ? Peux-tu expliquer le concept à nos lecteurs ?
C’est un atelier de 3 heures, au cours duquel un animateur guide 4 à 7 participants. Dans un premier temps, grâce à « un jeu sérieux » de 42 cartes basé sur les rapports du GIEC, les participants cartographient par eux-mêmes les réactions en chaîne menant au dérèglement climatique.
Puis, dans un second temps, chacun exprime son sentiment sur le sujet. Enfin, un débat nourri d’informations autour des leviers d’actions possibles. La Fresque du Climat est aussi une association loi 1901 française qui se définit à travers sa raison d’être : « accélérer la compréhension des enjeux climatiques au niveau mondial pour contribuer à déclencher, au plus tôt, les bascules nécessaires à la préservation du vivant ».
Pourquoi as-tu choisi de t’investir spécifiquement avec la Fresque du climat ?
En arrivant à Taiwan, j’ai participé à la Fresque du Climat grâce à mon amie Agnès Pondaven (coordinatrice pour Taiwan de la Fresque du Climat). J’ai été moi-même très touché par cette expérience. En animant des ateliers professionnellement depuis longtemps, j’ai vraiment apprécié l’approche pédagogique. Le jeu centré sur la vulgarisation scientifique et la structure de l’atelier permettent d' »embarquer » les participants dans un processus qui les amène progressivement vers un désir profond « d’agir » eux aussi. Par ailleurs, je trouve que la communauté des « freskers » à travers le monde véhicule de belles valeurs, de bienveillance, aucune idéologie, l’association prône l’esprit d’initiative de ses membres.
Le modèle est très bien structuré si on souhaite développer la Fresque de manière professionnelle. Les animateurs montent en « ceinture » et peuvent eux-mêmes devenir formateurs d’autres animateurs (ce qui est mon cas et celui d’Agnès Pondaven). Tous les outils sont mis à disposition des animateurs pour monter en compétence. C’est cela également qui explique pourquoi en à peine 5 ans, il y a déjà un peu plus de 1,2 million de personnes qui ont participé à l’atelier à travers le monde (dont presque 1000 à Taiwan).
Comment la Fresque du climat est-elle liée à ta vie à Taiwan et à tes expériences en tant qu’expatrié ?
Un côté très agréable de l’animation d’atelier est précisément que l’on rencontre énormément de personnes de tous horizons, c’est vraiment passionnant. J’anime maintenant quasiment tous les ateliers et formations en mandarin, ce qui me donne de nombreuses occasions de « prendre le pouls » de la société taiwanaise sur ces sujets.
Ces ateliers sont aussi de très bons moments avec des personnes qui partagent mes convictions : mon ami Alexandre Paitre (le premier à avoir effectivement organisé une Fresque à Taiwan), Raphael Seghier, Shaomin Huang, Chingwen Liang, Peter Kuangkai Tou, Naomi Goddard, Sally Jensen, Olivier Letessier mais également de nombreux étudiants du département de climatologie de NTU qui ont notamment participé à la traduction des cartes du jeu en mandarin traditionnel.
En quoi la Fresque du climat est-elle un atelier important pour comprendre les enjeux liés à la protection de l’environnement ?
Cet atelier contribue à donner au plus grand nombre une meilleure « culture générale » climatique, ce qui permet ensuite d’accélérer la prise d’initiative dans les différentes strates de la société (gouvernement, public, entreprises…). Par ailleurs, lors de l’atelier, nous insistons sur l’impact du mimétisme. Les « changements » qu’initient les participants influencent les personnes autour d’eux et sont autant d’opportunités de sensibiliser en expliquant le « pourquoi » de ce changement. Le message est donc : toutes les actions permettant une réduction de nos émissions de gaz à effet de serre sont bonnes à prendre, même celles qui peuvent paraître anecdotiques au premier abord.
Ce sujet de la crise climatique nous concerne tous, et le format de l’atelier peut s’adapter à de nombreux contextes. Par exemple, l’année dernière le Bureau Français de Taipei a choisi la Fresque de Climat comme événement destiné à la communauté des diplômés taiwanais revenus à Taiwan. À Taiwan, la Fresque du Climat tâche également de s’associer à ceux qui œuvrent dans le même sens que nous, nous organisons des événements communs avec Bcorp ou avec Circular Taiwan.
Quels sont les principaux enseignements que les participants retirent de l’atelier de la Fresque du climat ?
L’atelier permet aux participants d’établir le lien entre les activités humaines de manière générale et le dérèglement climatique. Puis nous partageons des ordres de grandeurs des émissions de gaz à effet de serre associés à notre mode de vie. Prendre réellement conscience de ce lien de causalité entre les choix que nous faisons tous au quotidien (le transport, l’alimentation, nos modes de consommation…) et des niveaux d’émissions permet de motiver la prise d’initiative concrète des participants.
Peux-tu partager une expérience mémorable liée à la conduite d’un atelier sur la Fresque du climat à Taiwan ?
Il y a beaucoup de souvenirs, des personnes qui comme moi suite à l’atelier ont décidé de changer radicalement leur mode de vie et à leur tour d’influencer un très grand nombre de personnes, c’est vraiment une grande satisfaction pour les animateurs que de pouvoir contribuer à la transition.
J’ai été particulièrement ému lors d’un atelier à Tainan pour les NGO Innovative Learning (斯創教育工作群) et Watch nature (蛙趣自然). Les premiers interviennent dans les écoles partout à travers l’île sur le sujet de l’environnement. Les seconds mènent des actions de sensibilisation sur la biodiversité dans le sud de l’île. J’ai rarement rencontré autant de bienveillance, des personnes vraiment pleines d’empathie qui se consacrent complètement au sujet environnemental sur le terrain.
L’atelier a eu lieu un peu au nord de Tainan près des bassins, utilisés à cet endroit pour l’ostréiculture. Dans l’atelier, nous expliquons l’importance du problème de la décarbonation de l’énergie, donc entre autres, de l’essor nécessaire des énergies renouvelables. Or l’association Watch Nature venait justement d’intervenir en médiation d’un conflit entre les ostréiculteurs de la région et les autorités qui développent des projets de centrales solaires sur ces bassins. La discussion a alors donné lieu à un vif débat sur le sujet, une belle piqûre de rappel à la réalité du terrain, très instructive pour moi.
Quels défis rencontres-tu dans la promotion et la réalisation de la Fresque du climat à Taiwan, et comment les surmontes-tu ?
D’un côté, c’est parfois effectivement un peu difficile de faire face à la jeunesse taiwanaise, en partie désabusée, qui pour plein d’autres raisons se sent déjà impuissante et réagit parfois en se réfugiant dans le déni. On a souvent l’impression de les « assommer » avec un sujet supplémentaire hors de leur portée (ce qui est faux bien sûr).
D’un autre côté, il y a les personnes plus âgées qui ont parfois bien profité de la forte croissance économique de Taiwan et eux aussi sont dans le déni car ils ont l’impression de nous entendre « siffler la fin de la récréation ».
Dans les deux cas, la bonne posture n’est certainement pas de les blâmer, mais au contraire, se montrer bienveillant pour progressivement, avec des exemples concrets qui leurs sont chers (le risque réel pour Taiwan, pour leurs enfants…), leur montrer la gravité de la situation et pourquoi nous avons besoin d’agir tous ensemble.
Il existe des déclinaisons à la Fresque du climat… Allez-vous les proposer à Taïwan ?
Oui, effectivement, devant le succès de la Fresque du Climat, un grand nombre d’ateliers sur des sujets connexes ont été créés.
Pour ma part, je me suis formé cet été comme animateur de la Fresque du Numérique, qui s’intéresse en détail à l’impact des parts (en forte croissance) de nos émissions associées aux activités numériques, en offrant des exemples de solutions possibles pour les limiter.
Nous aurons bientôt (moi compris) plusieurs animateurs de l’atelier 2 tonnes qui guident les participants dans une simulation interactive permettant de visualiser l’impact de choix personnels et collectifs faits par paliers temporels progressifs, avec l’objectif sous-tendu « d’atterrir » au plus près des « 2 tonnes » en 2050. 2 tonnes d’émission de Gaz à effet de serre par habitant par an étant notre objectif commun en ligne avec les accords de Paris de 2015.
Nous avons une formatrice (Agnès Pondaven) de la Fresque des Frontières Planétaires. On parle beaucoup du climat ou de la biodiversité, mais ce ne sont que deux des 9 limites planétaires que l’humanité ne doit pas dépasser pour maintenir un écosystème stable. Cet atelier permet de prendre une hauteur supplémentaire et d’observer la nature systémique du problème que nous connaissons.
Nous sommes également plusieurs animateurs des « Ateliers de l’Adaptation au Changement Climatique« . Le changement climatique est là, ses impacts se généralisent et s’intensifient. Cet atelier, plus stratégique, donne les clés pour faire les meilleurs choix, à la fois d’atténuation et d’adaptation tout en évitant les « maladaptations ».
Quels sont selon toi les points à améliorer pour mieux protéger notre environnement à Taïwan ?
Je pense qu’à Taiwan, comme partout ailleurs, la transition connaîtra une accélération forte seulement lorsque la majorité des responsables politiques et des décideurs au sein des grands groupes prendront réellement le sujet au sérieux. C’est à nous tous, via nos réseaux d’amis, d’influence, en continuant le travail de fond de sensibilisation dans les écoles, auprès du grand public, dans les entreprises, que nous arriverons à placer les sujets environnementaux au centre des débats de société.
As-tu un message ou un conseil à adresser à nos lecteurs qui souhaitent s’impliquer davantage dans la protection de l’environnement ?
N’hésitez pas à agir et parlez de vos actions autour de vous pour inspirer les gens qui vous entourent. Toutes les actions sont utiles. Pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris (augmentation de la température moyenne sur terre de 1,5°C en 2100), nous devons baisser chaque année nos émissions de 5%. Mais quand vous regardez à titre personnel votre bilan carbone, vous réaliserez très vite qu’il y a de nombreux leviers pour y arriver. Et si nos efforts s’accompagnent d’une réelle décarbonation de l’économie, nous pouvons y arriver collectivement. Bien sûr, si vous voulez participer à un atelier et même devenir animateur, n’hésitez pas à nous laisser un message sur notre page LinkedIn.
Enfin, quels sont les 3 lieux à Taïwan où on a le plus de chance de te croiser ?
Le matin à 8h, au Lycée International Français de Taipei 😊
Après, j’ai un ou deux très bons « secret spots » de rivières et chutes en montagne à moins d’ 1h de Taipei. Je partage uniquement les bons plans avec les participants à l’atelier Fresque du Climat, à bientôt !
Pour plus de renseignements sur
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