Depuis plusieurs années, les rues de Taipei, les temples de Tainan ou les marchés de nuit de Kaohsiung ne sont plus seulement arpentés par les touristes : ils sont aussi scrutés à travers l’objectif d’une nouvelle génération de youtubeur étrangers racontant leur vie à Taïwan, souvent avec enthousiasme, parfois avec candeur. Leur contenu séduit un public international, attire l’attention sur cette île longtemps restée dans l’ombre, et célèbre, à juste titre, l’hospitalité taïwanaise.
Mais que disent vraiment ces vidéos sur Taïwan ? Et que choisissent-elles de taire ? Sous les images flatteuses se cache un déséquilibre qu’il est peut-être temps d’interroger.
Un regard étranger qui filtre la réalité
Ce qui frappe d’abord dans ce contenu, c’est sa répétition : presque toutes les vidéos chantent les louanges d’un pays “moderne et sûr”, d’une “nourriture incroyable” ou d’un “accueil inégalé”. Ce regard, s’il est sincère, reste souvent en surface. Très peu de créateurs s’aventurent sur des terrains plus complexes : les inégalités sociales croissantes, la précarité du travail chez les jeunes, les discriminations envers les minorités aborigènes, ou encore les tensions politiques régionales.
Certaines vidéos abordent bien ces thèmes, mais elles sont rares, et souvent reléguées à la marge. D’autres justifient leur silence par le manque d’audience locale : “les Taïwanais ne regardent pas ce genre de contenu”, avancent-ils. En réalité, c’est peut-être le format qui peine à tisser un pont entre la curiosité étrangère et les réalités locales.
Beaucoup de ces créateurs restent d’ailleurs dans une bulle, entre expatriés ou en couple avec un (e) Taïwanais(e). Une vie à moitié immergée, qui colore inévitablement leur point de vue. Même les gestes les plus ordinaires, prendre un bus, manger du tofu puant, commander en mandarin deviennent des exploits mis en scène, comme si le quotidien local devenait extraordinaire une fois vécu par un étranger. De ce fait, il y’a aussi une forme de discrimination positive. Cette mise en spectacle, parfois teintée d’un exotisme involontaire, donne une image déformée du pays : une carte postale bien cadrée, mais tronquée.
Des récits sincères, mais peu critiques
Il serait injuste de nier l’impact positif de ces vidéos. Certaines sont touchantes, bien réalisées, ou tout simplement drôles. Elles créent un espace de curiosité, d’échange, et parfois même de reconnaissance mutuelle. Pour beaucoup de Taïwanais, voir leur culture valorisée par un regard extérieur est une source de fierté.
Mais ce regard, aussi bienveillant soit-il, manque souvent de distance critique. S’intégrer à une culture, ce n’est pas seulement s’émerveiller devant ses beautés : c’est aussi écouter ce qu’elle vit, ce qu’elle questionne, ce qu’elle transforme. Très peu de youtubeurs donnent la parole aux Taïwanais eux-mêmes, à leurs préoccupations, à leurs regards sur ces étrangers qui filment leur pays.
Il existe bien sûr des exceptions : quelques chaînes prennent le temps d’interviewer des locaux, de parler d’écologie, d’éducation ou de mémoire coloniale. Mais elles restent peu visibles dans un océan de contenus lifestyle où l’on confond souvent authenticité et anecdote.
Ce manque de profondeur n’est pas qu’un choix éditorial : il reflète aussi les limites d’une économie de l’attention, où il faut publier régulièrement, plaire à un algorithme, capter l’instant plus que le sens. Et peut-être aussi, une difficulté plus personnelle : celle de questionner sa propre position dans un pays qu’on admire, mais dont on reste malgré tout extérieur.
Vers un dialogue plus riche ?
Les youtubeurs étrangers ont joué, et jouent encore, un rôle important dans la visibilité culturelle de Taïwan. Grâce à eux, l’île a cessé d’être une inconnue dans l’imaginaire international. Mais à l’heure où les identités culturelles se négocient de plus en plus en ligne, il est légitime de se demander : que voulons-nous montrer de ce pays ? Et surtout, avec qui ?
Taïwan ne se résume pas à une série de vlogs souriants. C’est un lieu vivant, pluriel, traversé de tensions, de rêves, de blessures aussi. Le montrer, ce n’est pas le critiquer – c’est lui rendre justice. Ce que l’on attend désormais, ce ne sont pas des vidéos plus longues ou plus léchées. Ce sont des voix plus ouvertes, plus conscientes, prêtes à se mettre en retrait pour laisser d’autres récits émerger.
Les créateurs de contenu ont le choix : continuer à capturer un paradis en surface, ou plonger dans les nuances d’une société bien plus complexe qu’elle n’en a l’air. Et si c’était cela, au fond, le vrai privilège d’être étranger quelque part : non pas tout expliquer, mais apprendre à témoigner et regarder autrement. Et bien sûr avoir la chance de devenir le témoin d’une réalité palpable.

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4 réponses
Remarquable article. Tout est dit. Bravo.
Bonjour, Merci beaucoup !
En effet, tout est dit. Merci pour cet article !
Pourriez-vous nous donner quelques exemples de ces youtubeurs qui creusent un peu plus loin que la surface, s’il vous plaît ?
Bonjour, nous préparons un article avec une liste de Youtubeurs qui creusent un peu plus loin que la surface. Continuez à nous suivre !