La bande dessinée historique de Li Lung-Chieh

Découvrez l’œuvre de Li Lung-Chieh, figure majeure de la BD taïwanaise moderne, entre phobies intimes et récits historiques.
Extrait du roman graphique “1661 Koxinga Z”, textes et dessins de Li Lung-Chieh, paru en français chez Nazca éditions en 2022.

Partager l'article

La bande dessinée taïwanaise a longtemps été influencée par les mangas japonais, tout comme de nombreux aspects de la culture taïwanaise (architecture, musique, cuisine etc.) qui sont fortement marqués par les influences nippones. Mais depuis 1987, avec la levée de la loi martiale, la créativité des dessinateurs de bandes dessinées à Taïwan a contribué à la création d’un véritable 9e art propre à Taïwan, surtout avec l’apparition en 2009 du magazine “CCC” (Creative Comic Collection) qui a fait connaître de nombreux artistes-dessinateurs qui se sont exprimés sur beaucoup de sujets, avec des œuvres fictives ou historiques propres à Taïwan, générant ainsi une bande dessinée taïwanaise distincte et forte d’une diversité d’auteurs et autrices de plus en plus reconnus sur la scène internationale.

Pour Insidetaiwan.net, je vous propose de vous faire découvrir régulièrement des bandes dessinées taïwanaises qui vont pouvoir à la fois aider les apprenants du mandarin à s’orienter vers d’autres lectures plus graphiques et ludiques, tout en proposant aux passionnés de l’histoire de Taïwan des narrations graphiques et plus personnelles de certains épisodes historiques de Taïwan racontés par ces auteurs-dessinateurs contemporains.


Cette fois-ci je vous propose de découvrir le dessinateur bien unique Li Lung-Chieh 李隆杰。

“Ichthyophobia” ou l’homme qui a peur des poissons – Première révélation

Li Lung-Chieh est un jeune dessinateur de manhua 漫畫 taïwanais de quarante-quatre ans connu dans le circuit des bédéistes depuis son plus jeune âge. Bien qu’ayant fait des études de design d’intérieur à l’Université de Shih Chien à Taipei, Lung-Chieh a débuté très tôt dans la bande dessinée quand il a remporté des prix de manhua dès l’âge de 14-15 ans quand il n’était encore qu’un adolescent en école secondaire (國中). Dans une interview datant de 2016 publié sur Youtube par le site internet “Taiwan Comic Base”, Lung-Chieh dévoile qu’il a débuté dans la bande dessinée à Taïwan en participant à des concours organisés par des éditeurs taïwanais de manga tels que Tong Li 東立 ou Ching Wen 青文 (1).

Souvent désigné comme un dessinateur “puriste”, Li dessine encore et toujours à la main, avec une manie de ne jamais faire apparaître du tipp-ex sur ses dessins originaux, où toute modification est faite sur le papier en grattant délicatement les traits au cutter. Dans un article publié par le média populaire/tabloid taiwanais Mirror Media en 2017, “son oeuvre est grandement influencé par le dessinateur américain de comics Geoff Darrow, il (Li Lungchieh) est spécialiste des grandes scènes de guerre en présence de marées humaines, où il démontre une maîtrise pointilleuse des détails et des personnages” (2).

 La première bande dessinée où s’est illustré ce dessinateur très original fût Ichthyophioba, ou en français “l’ichthyophobie”, qui est la peur maladive des poissons vivants ou morts (3). Affecté lui-même personnellement de cette peur, Li publie ce livre en 2015 où il décrit dans cette bande dessinée muette (sans parole, donc très accessible aux lecteurs qui ne sont pas sinophones !) comment son personnage quelque peu autobiographique vit avec cette phobie constante des poissons, que ce soit dans ses rêves quotidiens, dans un restaurant quand il dîne avec sa copine, quand il part à la chasse dans les forêts, ou comment il en fait même sa croisade personnelle en plaidant contre la consommation alimentaire de poissons qui pourrait, selon son personnage, transformer les humains en monstres-poissons !



Cette bande dessinée lui a valu le prix du meilleur manhua lors du Japan International Manga Award en 2016 et du meilleur talent aux Golden Comics Awards la même année, ce qui fût la première reconnaissance publique qui propulsa la notoriété de Li Lungchieh à Taïwan. Certaines scènes marquantes de cette bande dessinée vont même opposer les humains contre les poissons, une entrevue du monde imaginaire dans la tête du dessinateur de BD qui devient ensuite une véritable rêverie graphique dessinée sur papier !

Ce livre de Li est tellement marquant dans sa carrière que le 25 octobre 2023, lors de l’inauguration du site du Musée national de la Bande Dessinée, Li est invité à dessiner une fresque murale sur l’un des 14 bâtiments de ce musée, et il y dessine à nouveau ses poissons monstres sortis tout droit d’ “Ichthyophoia”.

Comment “1661 Koxingia” réécrit l’histoire de Taiwan

Mais la vraie révélation des talents de dessinateur de Li Lung-Chieh vint en 2018 quand il publie chez Gaea Books la bande dessinée historique 1661 Koxinga Z (1661 國姓爺來了). Ce livre lui permet de remporter un nouveau titre au 9e Golden Comics Awards qui est cette fois-ci le prix de la Meilleure BD de l’année.

Cette bande dessinée est surtout marquante par son originalité car elle relate la célèbre bataille sino-hollandaise de Tainan en 1664 du point de vue des hollandais. Entre 1661-62, pendant un siège de plus de 8 mois, l’Empire chinois récupère l’île de Taïwan des mains de la Compagnie des Indes Orientales, entreprise représentante de l’Empire colonial néerlandais.

Mais contrairement à la plupart des récits historiques à Taïwan, en Chine ou dans les manuels habituels d’histoire où le général chinois Koxinga (ou Cheng Chengong, en chinois 鄭成功), et son armée sont glorifiés comme héros marquants de l’histoire de la Chine, la bande dessinée de Li raconte comment en réalité, l’armée chinoise avaient déployé 25 000 soldats et 900 navires pour encercler le Fort Zeelandia des Hollandais à Anping, Tainan, contre moins de 2000 soldats hollandais mené par le gouverneur Frederick Coyett, et s’était comportée de manière cruelle, inhumaine et sans scrupule. Dans un discours similaire à la propagande actuelle du DPP, Li décrit ainsi l’Empire chinois comme l’envahisseur et l’armée hollandaise comme victime (4).

En se basant sur des publications historiques écrites par des hollandais témoins de cette bataille, entre autres le missionnaire Anthonius Hambroek et le géomètre Philip Meij qui étaient présents à cette bataille, mais aussi à partir de publications d’historiens modernes sur des faits historiques plus factuels (et non teintés par les nationalistes chinois), Li dépeint ainsi dans cette belle bande dessinée très animée avec ses scènes de batailles navales, de conflits psychologiques entre les personnages et de combats à bras-le-corps, un fait clé dans l’histoire de Taïwan avec un regard historique plus neutre voire moins favorable à la propagande sino-centrique des manuels historiques qu’ont connu les écoliers taïwanais pendant plusieurs décennies.

Formosa X

Koxinga Z est en réalité la séquelle “historique” du tout aussi magistral 1624 Formosa X, roman graphique historique où Li détaille l’épopée du légendaire prince des pirates Li Dan (李旦), frère de sang de Cheng Chialing (鄭芝龍), qui était le père de Koxinga. Li Dan avait triomphé en tant que pirate le plus influent de toute la région allant du Japon jusqu’au sud du pacifique en passant par la Chine. Son influence était telle que la flotte espagnole l’avait surnommé “Capitan”.

Formosa X relate l’histoire de ce fabuleux personnage Li Dan, pirate et marchand maritime dont l’empire commercial s’étendait sur toute l’Asie.  Et durant cette même période où les différentes forces mondiales (les néerlandais avec la Compagnie d’Inde Orientales ; le navire commerçant japonais du commandant Hamada Yahyōe (濱田彌兵衛) qui entre en conflit à Taoyuan avec l’armée néerlandaises ; le commerce de Li Dan et Cheng Zhi-Long qui s’intéresse de plus en plus à la place stratégiquement intéressante de l’île de Formose dans toute la région ; tous ces faits historiques sont relatés dans ce roman graphique qui aborde plus de 50 personnages historiques qui ont marqué l’incroyable histoire de Formose au 17e siècle, et comment cette île, à l’époque négligée par l’Empire chinois sous la dynastie Ming, fût ainsi propulsée à un destin fabuleux qui depuis marqua l’histoire du monde plusieurs fois (5).

📚 Sources et références

(1) “Interview spécial de Li Lung-Chieh 李隆杰專訪” en chinois sur youtube par Feiyu Creative Agency 飛魚創意

(2) “怕魚的男人(下“ (ou Ichyothophobia 2e partie), article en chinois publié à partir d’une interview de Li Lungchieh, écrit par Yang Cheng-Xun 楊政勳, publié le 12 octobre 2017 par l’hebdomadaire taiwanais Mirror Média 鏡周刊

(3) “L’ichythyophobie ou la peur des poissons”, article publié en ligne le 3 juillet 2023 dans le Mag des Animaux par Laetitia Cochet, portail d’info du quotidien Ouest France

(4) “Koxinga Z 1661” de Li Lung-Chieh, publié chez Nazca édtitions en 2023,  Disponible en France et en Europe sur La Boutique de Taiwan et également sur Amazon

(5) “Formosa X 1624” de Li Lung-Chieh, publié chez Nazca éditions en décembre 2024, disponible en France et en Europe sur la Boutique de Taiwan et également sur Amazon

⭐ Pour résumé

  • 📚 La BD taïwanaise s’émancipe après 1987 : la fin de la loi martiale libère la créativité et ouvre la voie à un véritable 9ᵉ art local.
  • 🖋️ Li Lung-Chieh incarne cette nouvelle génération : un dessinateur “puriste”, très technique, influencé par Geoff Darrow et reconnu dès l’adolescence.
  • 🐟 “Ichthyophobia” révèle son style unique : une BD muette sur sa phobie des poissons, récompensée au Japan International Manga Award en 2016.
  • ⚔️ “1661 Koxinga Z” réinvente l’histoire de Taïwan : un récit centré sur le point de vue néerlandais, loin de la vision sino-centrée traditionnelle.
  • 🌏 “Formosa X” explore la Formose du XVIIᵉ siècle : un roman graphique dense mêlant pirates, marchands, empires coloniaux et rivalités maritimes.

🚀 Prêt à rester connecté à Taïwan sans stress ?

Active ton eSIM Saily en quelques clics, choisis ton forfait (dès 3,43 €) et navigue sans coupure dans plus de 200 pays. *

👉 Installe l’app et obtient 5% de remise sur ton 1er achat sur ton premier achat. Avec le code : InsideTaiwan


🤝 Programme d’affiliation 🤝

📌 Certains liens de cet article, ainsi que certaines images, renvoient vers des liens sponsorisés, permettant à Insidetaiwan.net de toucher une commission en cas d’achat, sans aucun coût supplémentaire pour vous. 💰 Cela nous aide à financer le magazine et à continuer à vous offrir un contenu indépendant et de qualité. 📖✨


💞 Soutenez-nous 💞

  • ⏯ Nous soutenir #financièrement
  • ⏯ S’inscrire à nos #Newsletters
  • ⏯ Nous suivre sur nos #réseaux sociaux
  • ⏯ Devenir #partenaire
  • ⏯ Proposer des #articles et du #contenu
  • ⏯ Découvrir nos offres #professionnelles (Publicités, Conseils…)

Pour découvrir nos offres rendez-vous sur la page dédiée (Nous soutenir) ou contactez-nous pour collaborer avec nous.

Partager l'article

À propos de l'auteur

  • Philippe Tzou est conseiller économique et commercial de l'agence wallonne à l'exportation à Taïwan (AWEX Taipei). Véritable touche à tout et amoureux de la culture Taïwanaise, il s'intéresse aussi bien à la bande dessinée qu'aux nouvelles technologies et à l'environnement.

    Voir toutes les publications

Vous aimez Inside Taïwan ?
Devenez acteur de ce projet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à nos newsletters pour une exploration approfondie de Taiwan

Contenus sponsorisés