Changements dans la politique des travailleurs migrants pour les métiers en tension à Taïwan

Taïwan réforme sa politique sur les travailleurs migrants dans les métiers en tension ; une approche pour inspirer la stratégie française ?
Travailleurs de la construction - Copyright : Taiwan News

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Taïwan, se tenant à l’avant-garde de l’évolution socio-politique en Asie, s’apprête à revisiter sa politique sur les travailleurs migrants dans les métiers en tension. Ces réformes anticipées, s’inscrivant dans une dynamique de relations internationales en constante évolution, pourraient avoir des implications significatives pour l’économie et la société taïwanaises. Examinons en détail ces modifications prévues.

Nouvelles ouvertures, l’exemple des relations avec l’Inde

En réponse à la dynamique mondiale changeante, Taïwan envisage d’importantes modifications de sa réglementation sur les travailleurs migrants. L’une des initiatives phares est la négociation avec l’Inde pour l’accueil de travailleurs indiens, en mettant l’accent sur ceux du nord-est de l’Inde.

Ces travailleurs sont perçus comme ayant un potentiel d’intégration élevé et devraient contribuer principalement aux secteurs de la construction, de l’agriculture et de la fabrication. Par ailleurs, les liens commerciaux et diplomatiques renforcés entre l’Inde et Taïwan, illustrés par la croissance exponentielle des échanges commerciaux et les visites diplomatiques, s’inscrivent dans un contexte de tensions croissantes entre l’Inde et la Chine.

Les échanges commerciaux entre l’Inde et Taïwan ont considérablement augmenté au cours des dernières décennies, passant de 1 milliard d’€ en 2001 à 6,2 milliards d’€ en 2022. Les liens entre les gouvernements taïwanais et indien se sont également réchauffés sous l’administration Tsai, avec la signature d’un accord commercial bilatéral en 2018 et la visite de deux parlementaires indiens à Taïwan en 2020.

Aides aux personnes – Copyright : Taipei Times

Cette évolution va de pair avec la montée des tensions entre l’Inde et la Chine, notamment en ce qui concerne les différends frontaliers. Cela a conduit à des affrontements en juin 2020 dans la vallée de Galwan, avec au moins 20 soldats indiens et 4 soldats chinois tués, et à des affrontements impliquant des centaines de soldats en décembre 2022, bien qu’il n’y ait pas eu de morts. Par le passé, des représentants du gouvernement taïwanais, tels que le ministre des affaires étrangères Joseph Wu et la présidente Tsai Ing-wen, ont tweeté pour soutenir l’Inde lors d’incidents au cours desquels le gouvernement chinois a mis l’accent sur son principe d’une seule Chine auprès du gouvernement indien.

Les ouvriers qui travaillent à Taïwan sont principalement originaires de quatre pays : Indonésie, Philippines, Thaïlande et Viêt Nam. Il reste à voir si les travailleurs indiens deviendront la dernière nationalité à renforcer cette armée de « col bleu »

Modifications des quotas par secteurs

Taïwan envisage une augmentation significative des quotas de travailleurs migrants dans divers secteurs clés. Par exemple, les entreprises des secteurs de la transformation des fruits de mer, de la production de tofu et de la construction navale seront désormais autorisées à embaucher jusqu’à 20 % de travailleurs migrants par rapport à leur effectif total, contre 15 % auparavant.

Les entreprises de construction publiques pourront également embaucher jusqu’à 30 % de travailleurs migrants, si elles remplissent certains critères. Quant aux entreprises de construction privées qui n’étaient pas autorisées à embaucher des travailleurs migrants auparavant, elles pourront embaucher jusqu’à 8 000 travailleurs migrants, chiffre qui peut être porté à 15 000 en fonction des besoins.

De même, les entreprises du secteur agricole pourront désormais employer jusqu’à 12 000 travailleurs migrants, soit une augmentation substantielle par rapport au seuil précédent. Cependant les entreprises de plus de dix employés ne pourront employer que 35 % de travailleurs migrants, tandis que les entreprises de moins de dix employés pourront, quant à elle, avoir un rapport de 1:1 entre travailleurs migrants et travailleurs locaux. Ce changement est dû en grande partie aux préoccupations des petites entreprises agricoles concernant la pénurie de main-d’œuvre.

Ouvrier agricole – Copyright : Taiwan Info

Enfin, moyennant le paiement d’une taxe au Fonds de sécurité de l’emploi, nombre de ces domaines pourront porter à 40 % le pourcentage de travailleurs migrants dans leur main-d’œuvre. Cependant, il doit s’agir d’entreprises effectuant des travaux classés « 3D » – « Dirty, Dangerous, Degradants » – par le gouvernement. La classification « 3D » est une classification gouvernementale de certains secteurs professionnels.

Le secteur de la construction est déjà devenu très dépendant du travail de ces travailleurs migrants au cours des dernières années, dans la mesure où ils assument ces fameuses tâches « 3D » que les Taïwanais eux-mêmes ne veulent pas effectuer. Néanmoins, les secteurs de la construction et de l’agriculture en sont venus à faire appel à une population flottante de travailleurs sans papiers, avec les risques que celà impliquent, en raison de ces quotas. Le gouvernement taïwanais pourrait tenter de réglementer cette dépendance à l’égard des travailleurs migrants sans papiers. Donner d’un côté et punir de l’autre. En sommes, On augmente les quotas, à vous de n’employer que des personnes en situation régulière ! Le message est clair.

Flexibilité et expansion sectorielle

Outre les changements de quotas, Taïwan assouplit également les règles pour l’embauche de travailleurs migrants dans divers secteurs. Ainsi les directives concernant le recrutement d’employés étrangers dans les métiers du service à la personne, vont être assouplies prochainement. En effet, la nécessité d’une évaluation médicale basée sur l’indice de Barthel ne sera plus une condition préalable à leur embauche. L’échelle de Barthel est une échelle ordinale utilisée pour mesurer la performance dans les activités de la vie quotidienne.

Cette initiative pourrait être influencée par le contexte électoral taïwanais. En effet, avant que le gouvernement taïwanais ne prenne cette décision, des candidats de l’opposition du camp pan-bleu, dont le candidat à la présidence du KMT, Hou You-yi, avaient déjà suggéré cette idée, probablement dans une stratégie d’anticipation vis-à-vis du gouvernement en place.

Le gouvernement taïwanais a déclaré son intention d’élargir l’accès des travailleurs migrants aux secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, plus particulièrement pour les tâches liées au nettoyage et à la maintenance. Cette résolution intervient en réponse aux sollicitations de l’industrie hôtelière, souhaitant une ouverture de ce domaine aux travailleurs étrangers.

Revendications – Copyright : Commonwealth Magazine

Bien que les modalités précises de cette initiative soient en phase de finalisation, il s’agit d’une avancée notable. Historiquement, depuis l’introduction de la main-d’œuvre des « cols bleus » en 1992, les travailleurs migrants à Taïwan étaient principalement concentrés dans les secteurs de la construction, de l’agriculture, de la sylviculture, de la pêche et des services à domicile. À noter que les aides à domicile, en charge des seniors, étaient déjà impliqués dans des activités telles que le nettoyage, la préparation des repas et l’entretien général des habitations.

Ces évolutions pourraient redéfinir la dynamique du travail des migrants à Taïwan. Toutefois, des interrogations subsistent quant à la pérennité du système actuel de courtage. Il est incertain si ce système persiste à mettre les travailleurs migrants en position de dépendance financière, notamment en raison des dettes contractées pour leur transport et leur placement professionnel à Taïwan.

De surcroît, la clarté fait défaut concernant les restrictions sur la durée de séjour des travailleurs migrants. Il est ambigu si ces limitations, qui empêchent la majorité de rester plus de 14 ans à Taïwan, seront levées pour l’ensemble des travailleurs, à l’exception de ceux qualifiés de « main-d’œuvre de compétence intermédiaire » par leurs employeurs, ou si Taïwan maintiendra sa réticence à envisager une ouverture à l’immigration.

Face à des métiers en tension, Taïwan opte pour une révision stratégique de ses quotas de travailleurs migrants, une approche qui pourrait servir d’exemple à la France qui envisage la naturalisation mais également l’accueil accru de travailleurs étrangers comme solutions potentielles à ses propres défis sur le marché du travail.

Article traduit avec l’aimable autorisation de New Bloom Magazine
Article Original écrit par Brian Hioe à lire sur le lien suivant


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À propos de l'auteur

  • Luc

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